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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/14

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LE MARI, resté seul à l’église.

Si je suis descendu jusqu’à un mariage ici-bas, c’est que j’ai trouvé celle que j’ai rêvée ; malheur et anathème sur ma tête si jamais je cesse de l’aimer !

(Une chambre pleine de monde. — Bal. — Musique. — Lumières. — Fleurs. — La jeune mariée, après avoir fait quelques tours de valse, s’arrête, et, par hasard, rencontre son mari dans la foule : elle va à lui, et appuie sa tête sur son épaule.)

LE JEUNE MARIÉ.

Que tu es belle dans cet abattement ! .. que ce désordre de fleurs et de perles va bien à ta tête ! — Tu rougis de pudeur et d’émotion. Oh ! éternellement tu seras le chant poétique de ma vie !

LA JEUNE MARIÉE.

Je serai toujours soumise et fidèle comme me l’a enseigné ma mère, comme mon cœur me l’enseigne. Mais il y a tant de monde ici, cette chaleur, tout ce bruit…

LE JEUNE MARIÉ.

Va danser encore : moi, je resterai ici pour te regarder, comme souvent j’ai regardé passer les anges dans les rêves de ma pensée.

LA JEUNE MARIÉE.

J’irai, puisque tu le veux ; mais les forces m’ont presque abandonnée.

LE JEUNE MARIÉ.

Chère ame, je t’en prie… (Danse et musique.)

Nuit obscure. — Esprit mauvais sous la forme d’une vierge.
L’ESPRIT MAUVAIS, passant dans les airs.

Il n’y a pas long-temps et à pareille époque, je parcourais la terre. Aujourd’hui les démons me chassent et m’ordonnent de prendre les apparences d’une sainte. (Passant au-dessus du jardin.) Fleurs, détachez-vous et venez couvrir mes cheveux. (Passant au-dessus du cimetière.) Charmes et fraîcheur des vierges mortes, dispersés dans l’air et flottant au-dessus des tombeaux, accourez à moi, venez parer mon visage.

Beaux cheveux de cette brune qui bientôt ne sera plus que cendres, venez vous suspendre à mon front ; yeux bleus, éteints à tout jamais sous cette pierre, venez à moi, brillant de tout le feu qui autrefois vous animait. Cent cierges brûlent derrière cette grille : c’est une princesse qu’on va enterrer ; — robe de satin blanche comme la neige, détache-toi de ce cadavre, passe comme un oiseau à travers cette grille, et viens me parer… Et, maintenant, en route, en route…

Chambre à coucher. — Une lampe projetant une légère clarté sur le mari, qui dort à côté de sa femme.
LE MARI, rêvant.

D’où viens-tu, toi que je ne voyais plus, que je n’attendais plus ? Comme l’eau passe, ainsi passent tes pieds, pareils à deux vagues blanchies d’écume ; une paix sainte rayonne sur ton visage ; tu réunis tout ce que j’ai rêvé et aimé. (Se réveillant.) Où donc suis-je ?… Ah ! je suis à côté de ma femme. C’est là ma femme… (Il la regarde.) J’ai pu croire que tu étais celle que j’ai rêvée… et