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ceux-ci dans tous les points où leur présence est nécessaire ; là respiration enfin, qui rend aux liquides nourriciers, altérés par leur séjour dans les organes, la puissance vivifiante qui les caractérise.

Chez les animaux supérieurs, c’est-à-dire chez ceux où l’organisation atteint le degré le plus élevé de perfectionnement, chacune de ces fonctions s’accomplit à l’aide d’organes particuliers. Les premiers naturalistes qui cherchèrent à se rendre compte du mécanisme de la vie n’étudiaient que ces organismes compliqués, et, vivement frappés du fait que nous venons d’indiquer, ils proclamèrent que toujours et partout la fonction est dépendante de l’organe, en d’autres termes que là où il n’existe pas d’instrument spécial pour l’accomplissement d’une fonction, cette fonction ne peut exister. Quelque rationnel que puisse paraître ce principe, il n’en est pas moins une profonde erreur. Les faits sont là pour le démontrer. Aux derniers degrés de l’échelle animale, on ne trouve plus d’organes distincts, et pourtant ces animaux se nourrissent, c’est-à-dire qu’ils digèrent, qu’ils absorbent, qu’ils respirent, et que des liquides réparateurs circulent dans tous leurs tissus.

Prenons pour exemple une de ces hydres d’eau douce si communes aux environs de Paris, que Trembley fit le premier connaître, et auxquelles M. Laurent vient de consacrer deux années entières de travaux assidus. Cet animal ressemble à un doigt de gant dont l’orifice serait entouré de longs prolongemens flexibles et contractiles. Ce sont pour le polype autant de bras qui lui servent à saisir les larves et autres petits animaux aquatiques qui, introduits dans la cavité du corps, y sont promptement digérés. Choisissons le moment où il vient d’engloutir une de ces larves, et, agissant avec précaution, essayons de la lui arracher. Plutôt que de lâcher sa proie, le polype se laissera retourner comme le doigt de gant auquel nous le comparions tout à l’heure. Ce qui formait la peau extérieure deviendra une membrane tapissant la cavité digestive, et réciproquement. Cependant l’animal ne s’en portera pas plus mal ; il guettera, saisira et digérera sa proie tout comme auparavant. Allons plus loin : coupons cette hydre en vingt, trente morceaux. Chacun de ces fragmens continuera à se nourrir ; il ne tardera pas à s’accroître, et, au bout de quelques jours, nous aurons vingt ou trente hydres complètes, obtenues par ce procédé en apparence si brutal.

En présence de ces faits incontestables, il faut bien admettre que chez ces êtres simples la fonction est indépendante de l’organe, c’est-à-dire que chaque partie du corps est également propre à s’acquitter à la fois de tous les actes physiologiques ; mais il est évident en même temps que ces actes divers, se passant tous sur le même point, ne peuvent être exécutés avec autant de perfection que lorsque chacun d’eux résulte de l’action d’un instrument approprié. On comprend dès-lors toute la valeur du principe développé, il y a plus de vingt.ans, par M. Milne Edwards,