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landlords comme créancier privilégié, prenant immédiatement la terre à son compte, en guise de sûreté pour ses avances, et l’exploitant tout de suite à son profit, sauf la faculté de rachat gardée par le propriétaire primitif ; l’Irlande se fût ainsi couverte de biens nationaux régis par l’état ; il y eût eu sur la terre des agens de l’état, des tenanciers de l’état. Rien n’est si contraire au sens anglais, à la liberté anglaise, que cette intervention gouvernementale dans les affaires économiques. Si nous mentionnons cette pensée restée sans résultat, c’est afin de montrer combien la crise doit être urgente, pour qu’on propose ainsi l’organisation légale du travail dans un pays où le free-trade vient à peine de triompher. Lord Besboroug s’est déjà montré bien hardi en prenant sur lui de modifier de son autorité privée un acte du parlement, et de consacrer les secours votés à d’autres opérations que celles qu’on avait imaginées. On ne peut cependant douter que le parlement ne lui accorde un bill d’indemnité, puisque tout le changement qu’il a risqué consiste à employer ces millions d’ouvriers sans pain dans des travaux qui les nourriront peut-être l’année prochaine, au lieu de les attacher à de stériles constructions.

Pendant que le schisme irlandais se produit ainsi sous son aspect le plus terrible, il s’accomplit sans grand bruit en Écosse un schisme religieux dont les conséquences pourront bien devenir de sérieux embarras. On se rappelle qu’une portion considérable de l’église d’Écosse se détacha du gouvernement en 1843, pour former une église libre, et revenir à la sévérité des vieux principes du covenant. On n’a point assez suivi chez nous les destinées de ces nouveaux réformés ; ils viennent de publier leur troisième rapport, et les chiffres en sont trop significatifs pour les passer sous silence. Le zèle calviniste et l’amour de l’indépendance religieuse, peut-être aussi de l’indépendance écossaise, ont surmonté l’esprit de calcul et d’économie qui est aussi un trait national. Les concessions de lord Aberdeen n’ont point arrêté cette fougue résolue, et, si M. Fox Maule eût réussi à faire donner aux dissidens le droit légal de bâtir leurs temples sur les terrains à leur convenance, ils seraient déjà persécuteurs après avoir commencé par se donner pour martyrs, martyrs bien rentés du reste, car en trois ans ils ont tiré 25 millions de francs de la plus pauvre partie des états britanniques. L’église libre d’Écosse paie maintenant à ses ministres un revenu de 72,000 liv. sterl. par an, assure des pensions à leurs veuves et à leurs enfans, consacre 9,000 liv. aux missions intérieures, deux fois autant à l’édification des églises, 400,000 liv. à l’instruction primaire, etc., etc. Elle a fondé une université richement dotée ; elle entretient des missions dans l’Inde et jusqu’au Cap, elle soutient des sociétés évangéliques, elle donne des subsides aux Hindous et aux juifs hongrois convertis. Tout ce budget révèle une puissance, et cette puissance n’est certes pas une force pour l’Angleterre.

La Turquie se forme de plus en plus aux habitudes de l’Occident, et voilà que les changemens et les modifications de cabinet s’y passent et s’y répètent avec la régularité qu’on admire dans les gouvernemens constitutionnels. Quoique cette imitation soit souvent un peu précipitée, nous n’avons point à regretter les nouvelles combinaisons qui viennent de s’accomplir dans l’intérieur du divan. Reschid-Pacha est nommé grand-vizir, et Riza-Pacha va, dit-on, remplacer le seraskier Khosrew-Pacha ; nous attendons les meilleurs effets de l’union définitive de ces deux hommes d’état, et nous souhaitons, qu’elle dure.