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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/402

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une circonstance heureuse pour sauver Nelson, déjà atteint de cette dernière maladie. Une corvette partie de la Jamaïque avec des renforts lui apporta la nouvelle que l’amiral sir Peter Parker l’avait nommé au commandement du vaisseau le Janus, devenu vacant par la mort de son capitaine, et Nelson quitta cette terre funeste la veille de la reddition du château de San-Juan. Ce n’en fut pas moins à lui que l’opinion générale décerna les honneurs de ce triomphe, mais il arriva à la Jamaïque tellement affaibli et épuisé par la dyssenterie, qu’il fallut le porter à terre dans son cadre.

Après cinq mois d’occupation, les Anglais évacuèrent leur fatale conquête. Des dix-huit cents hommes qu’on avait employés en différens postes, il n’en revenait que trois cent quatre-vingts. L’équipage du Hinchinbrook, dont Collingwood avait pris le commandement, était de deux cents hommes à son départ d’Angleterre, dix seulement purent revoir leur patrie : trop fréquente issue de ces expéditions tropicales, où la victoire même est le plus souvent désastreuse ! Quant à Nelson, il était trop souffrant pour conserver le commandement du Janus, et il se vit forcé de retourner en Angleterre pour y rétablir sa santé. Vers la fin du mois de septembre 1780, il s’embarqua sur le vaisseau le Lion, commandé par le capitaine Cornwallis, et, dès son arrivée en Europe, il se rendit aux eaux de Bath. Sa constitution avait déjà été éprouvée, dans son enfance, par les fièvres de l’Inde. Cette nouvelle épreuve acheva de ruiner à jamais sa santé ; mais, doué d’une grande force nerveuse, il ne perdit rien de son activité, et, dans un corps chétif et souffrant, il conserva une ame indomptable. Les eaux de Bath eurent d’abord assez d’efficacité pour qu’au bout de trois mois il crût devoir faire le voyage de Londres, afin d’y solliciter de nouveau du service. Il ne tarda point à en obtenir : sur la frégate l’Albemarle, il visita les côtes du Danemark et prit une part active aux opérations qui eurent lieu dans le golfe de Saint-Laurent, ainsi que dans les parages de l’Amérique du Nord. Jaloux de paraître sur un plus grand théâtre, il avait obtenu de lord Hood de le suivre dans la mer des Antilles, quand la paix de 1783 vint arrêter un instant sa carrière.

La guerre qui se termina à cette époque avait eu, nous l’avons dit déjà, des chances diverses, mais, en général, peu décisives. Guerre d’observation en Europe, elle se fit avec plus d’activité de l’autre côté de l’Atlantique, où elle resta cependant une guerre de tactique. Elle ne fut réellement poussée à fond que dans l’Inde, et ce fut parce que Suffren y commandait. L’audace de ce grand homme de mer n’a point encore été dépassée, et nul n’a égalé les ressources de son génie et la rapidité de son coup d’œil. Sans ports où il pût réparer ses vaisseaux, sans approvisionnemens pour les ravitailler, sans rechanges, sans mâtures pour remplacer celles qu’il perdait dans ses fréquens engagements