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ses mains que des mâts abattus, des ponts jonchés de cadavres, un vaisseau près de couler, et l’on éprouvait une sorte de fierté à voir le vainqueur lui-même effrayé de tant de sang répandu, et comme consterné d’une pareille victoire. Ce fut une malheureuse guerre, mais ce fut une guerre héroïque que celle qui se poursuivit ainsi pendant vingt ans. Suivant nous, on n’a point assez dit sous quel astre contraire nos marins combattirent à cette époque ; on n’a point assez fait sentir combien les institutions leur ont manqué ; on n’a point assez honoré leur résignation sublime, leurs combats sans espoir, leurs sacrifices sans illusion et sans peur. Gardons-nous de méconnaître la gloire qui s’attache à de pareils faits d’armes, gardons-nous de la répudier, car le courage malheureux, quand il a cette dignité et cette persévérance, offre quelque chose de plus touchant, de plus digne de nos hommages peut-être que le courage favorisé par la fortune. « Le succès, a dit souvent Nelson, suffit pour couvrir bien des fautes, mais combien de belles actions restent à jamais ensevelies sous une défaite ! »


VI.

Quoique le plan de la convention eût échoué, la flotte de Toulon, portée successivement par de prodigieux efforts à 15 vaisseaux de ligne, appareilla de ce port le 3 mars 1795 pour tenter un nouveau coup de main sur la Corse et essayer d’y jeter un corps de 6,000 hommes. L’amiral Hotham était en ce moment à Livourne, où il avait conduit son escadre, afin de se trouver à portée de favoriser les opérations de l’armée autrichienne, qui manoeuvrait sur les côtes de la Rivière de Gênes. Ses éclaireurs lui annoncèrent bientôt la sortie de l’escadre française, et lui apprirent la capture d’un de ses vaisseaux, le Berwick, qui, sorti de Saint-Florent pour venir le rejoindre à Livourne, avait donné au milieu de l’avant-garde ennemie. Avec les 14 vaisseaux qui lui restaient, l’amiral Hotham se porta immédiatement à la rencontre de l’amiral Martin, tremblant d’arriver trop tard et de trouver le débarquement des troupes françaises déjà effectué. Malheureusement l’amiral Martin n’avait point osé tenter cette opération avec la perspective de la voir interrompue par l’arrivée d’une escadre dont les éclaireurs étaient déjà venus le reconnaître, et, après avoir capturé le Berwick, il s’était décidé à rallier les côtes de Provence. Sa route l’avait conduit vers l’entrée du golfe de Gênes, quand, le 12 mars 1795, il aperçut l’escadre anglaise. Le vent soufflait de l’ouest et du sud-ouest par fortes rafales. Pendant la nuit, un vaisseau français, le Mercure, perdit son grand mât de hune, et, se séparant de la flotte, parvint à gagner le golfe Jouan sous l’escorte d’une frégate.