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CHOEUR DES LAQUAIS.

À la santé du président ! il nous conduira sur le chemin de la gloire et de l’honneur.

LE VALET DE CHAMBRE.

Merci, citoyens.

CHOEUR DES LAQUAIS.

Des antichambres qui étaient nos prisons, nous sommes sortis tous ensemble et le même jour. Vivat ! Nous connaissons les infamies et les ordures des salons. ’Vivat ! Vivat !

LE COMTE.

Quelles sont ces voix plus dures et plus sauvages qui sortent de ce fourré à gauche ?

LE NÉOPHYTE.

C’est le chœur des bouchers, monsieur le Courte.

CHOEUR DES BOUCHERS.

La hache et le couteau, voilà nos armes ; l’abattoir, c’est notre vie. Il nous importe peu d’égorger des bêtes ou des seigneurs.

Enfans de la force et du sang, nous ne connaissons que la force et le sang. Nous sommes à qui a besoin de nous. Pour les seigneurs, nous égorgeons les bœufs ; pour le peuple, nous égorgeons les seigneurs.

La hache et le couteau, voilà nos armes ; l’abattoir, c’est notre vie. Abattons, abattons, abattons !

LE COMTE.

J’aime ceux-là ; au moins ils ne parlent ni de l’honneur ni de la philosophie. Bonsoir, madame.

LE NÉOPHYTE.

Vous vous oubliez Dites donc citoyenne ou femme libre, monsieur le Comte.

LA FEMME.

Que signifie ce titre ? D’où vient-il, celui-là ? Fi ! fi ! tu sens la vieillerie, l’ancien régime.

LE COMTE.

Ma langue a fait faux bond.

LA FEMME.

Je suis comme toi, indépendante, femme libre. A la société qui m’a donné ces droits je distribue mon amour, je fais don de mes charmes.

LE COMTE.

La société t’a aussi donné ces bagues, ce collier d’améthistes ? O trois fois bienfaisante et généreuse société !

LA FEMME.

Non ; ces bagatelles, je les ai eues de mon mari, quand je n’avais pas encore ma liberté. Je dis mon mari, c’est-à-dire mon ennemi, l’ennemi de la liberté, celui qui me tenait à l’attache.

LE COMTE.

Je te souhaite bonne promenade, citoyenne. (Il revient sur ses pas.) Quel est ce soldat appuyé sur un sabre à deux tranchans ? Il a sur sa coiffure une tête de mort, une seconde sur la dragonne de son sabre ; sur ses bagues il y en a aussi