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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/772

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Molé, Fleury, Grandménil, Dugazon, Dazincourt, Larochelle, Mmes Contat, Mezerai, Devienne, Mars !… J’en passe, et, sinon des meilleurs, au moins de fort estimables. Si je poussais plus loin cette chronologie, je trouverais que, vers 1800 Grandménil est chargé d’un travail sur les moyens de relever le personnel de la scène française, qu’en 1806 les Jérémies du foyer reprennent leurs doléances à l’occasion de la retraite de Monvel, et que l’année suivante Cailhava appela l’attention de l’institut sur l’anéantissement du théâtre : c’était précisément à la veille d’une période de prospérité. Depuis la restauration jusqu’à nos jours, les prophéties sinistres ont eu souvent le caractère d’une hostilité systématique. Au fond, il en advient des attaques contre la Comédie-Française comme des épigrammes contre l’Académie. Le public sensé n’y voit qu’un témoignage de la haute idée qu’on s’est faite de ces institutions.

Je voudrais bien avoir à parler de l’Odéon. J’aime l’Odéon ; l’existence de ce théâtre est utile à l’art dramatique, utile surtout, et de plus d’une manière, au Théâtre-Français. Avant la dernière réouverture, le mécontentement des auteurs refusés avait beau jeu. Les génies naissans étaient étouffés par l’incurie ou les rigueurs de la Comédie-Française : le temple du faubourg Saint-Germain allait devenir un lieu d’asile pour les martyrs de la rue de Richelieu. Qu’on cite donc les victimes du premier théâtre recueillies par l’Odéon ! Hélas ! il est plutôt à croire que M. Bocage souffre, comme tous les autres directeurs, de la disette de bonnes pièces, puisqu’il s’est adressé à un improvisateur pour obtenir une comédie en cinq actes et en vers, une comédie de mœurs ! Au surplus, le calcul de M. Bocage, le choix qu’il a fait de M. Méry, me semblent un chef-d’œuvre de tactique directoriale. « Il me faut une pièce en huit jours, s’est-il dit : une telle pièce ne saurait être bonne. Choisissons donc dans le monde littéraire un de ces noms qui conjurent les sévérités du public. Personne ne suppose que M. Méry soit capable de faire une vraie comédie ; l’opinion ainsi prévenue n’éprouvera pas la colère du désenchantement. M. Méry a le don du vers élégant et facile il est généralement accepté comme homme de fantaisie originale et de sémillant esprit : le public n’en voudra pas démordre, et trouvera de l’esprit, dût-il en inventer. Quinze jours se passeront ainsi, les quinze jours qui me sont nécessaires pour préparer l’explosion décisive, l’apparition de mon Agnès de Méranie, l’événement littéraire de la saison. » Tout s’est passé suivant les prévisions du directeur. Chaque soir, une société pas trop nombreuse, mais bien choisie, se rend à l’invitation de M. Bocage. Apres une pièce de Bouilly ou de Dieu-Lafoi, on relève la toile. Alors M. Méry, par l’organe de huit ou dix acteurs, vient débiter deux mille vers sur l’Univers et la Maison, titre heureux qui permet de parler de tout à propos de rien. Il arrive à M. Méry, comme à ces causeurs en renom qui ont le privilège de parler seuls pendant toute une soirée, de rencontrer de temps en temps des traits spirituels. Dans la peinture de ce spéculateur dont le regard plane sur le monde et qui ne voit pas clair dans son intérieur, on entrevoit une comédie que l’auteur aurait pu faire, et on lui sait gré de sa bonne intention. Comme il n’y a pas à craindre de perdre le fil de l’action, on cause décemment et à voix basse avec son voisin. De temps en temps on redresse la tête pour saisir au passage une saillie amusante, une tirade agréablement versifiée. Quand parait le grand spéculateur, le négociant de génie qui veut redorer par l’industrie le vieux blason des Doria, on regrette que l’artiste qui a toujours