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rapport direct avec la suite des événemens, il promenait partout le ravage d’une moquerie impitoyable. Cependant l’impartialité de l’histoire eut un vengeur qu’animait d’ailleurs un dévouement sincère à la religion chrétienne Un professeur émérite de l’université, qui avait pendant long-temps occupé la chaire de Rollin au collége du Plessis, eut le courage d’entrer en campagne contre Voltaire, dont alors la célébrité remplissait l’Europe : c’était en 1769. En écrivant les Lettres de quelques Juifs portugais, allemands et polonais, à M. de Voltaire, l’abb Guenée se jetait dans une entreprise difficile, dont il sortit avec succès. Il sut se montrer savant sans lourdeur, parfois même son érudition était piquante. Sans qu’il oubliât les convenances, les ménagemens que lui prescrivait la renommée de son adversaire, sa polémique fut assez aiguë pour arracher cet aveu à Voltaire, que le secrétaire juif était malin comme un singe, et qu’il mordait jusqu’au sang en faisant semblant de baiser la main. Voltaire, qui écrivait ces mots à d’Alembert, ajoutait : « Il sera mordu de même, » et il riposta en se représentant comme un chrétien obligé de se défendre contre six Juifs. Quel chrétien ! Dans cette circonstance, l’inépuisable railleur n’eut pas trop de toutes les ressources de son esprit et de son talent ; il ne pouvait se cacher à lui-même que, sur des points importans, sa critique avait été convaincue d’être légère, erronée, peu loyale. Aussi, quand il crut avoir assez fait pour l’honneur des armes, il s’empressa de clore le débat par des paroles de conciliation adressées à MM. les six Juifs. « Je vous le répète, le monde entier n’est qu’une famille, les hommes sont frères : les frères se querellent quelquefois ; mais les bons cœurs reviennent aisément. Je suis prêt à vous embrasser, vous et M. le secrétaire, dont j’estime la science, le style et la circonspection dans plus d’un endroit scabreux. » Voilà Voltaire revenu aux sentimens qui ont fait sa gloire et sa force, à l’amour de l’humanité. Tout en déplorant son fanatisme anti-chrétien, il ne faut pas oublier que les erreurs, les travers du génie, concourent parfois à l’accomplissement de certaines missions.

Dans le temps même où Voltaire prodiguait ses sarcasmes, on vit s’ouvrir une série d’ouvrages remarquables qui appelèrent les regards des savans et des lettrés sur l’ensemble et les principaux caractères de la civilisation hébraïque. Warburton[1], au milieu de plusieurs paradoxes, mettait en saillie la grandeur de Moïse et les rapports étroits de la seconde révélation avec la première. L’évêque Lowth[2] publiait le cours qu’il avait fait à Oxford sur la poésie des Hébreux, et son livre fut bientôt entre les mains de tous les littérateurs de l’Europe. Cependant

  1. Divine Légation de Moïse.
  2. De sacra poesi Hebrœorum Proelectiones academioe Oxonii habitoe.