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parlementaire de l’aristocratie anglaise. Au reste, généreux par nature comme il était libéral par position, il n’aspirait qu’à patroner une cause bonne et brillante.

Ces deux esprits très différens se complétaient l’un l’autre. M. Gaj, privé de droits politiques par sa naissance, n’avait point entrée dans les comitats ni aucune chance d’être député à la congrégation ou à la diète de Hongrie. L’arène où se débattaient légalement les grands intérêts des Croates lui était donc fermée. M. Draschkowicz n’avait point les connaissances étendues, le sentiment littéraire, l’activité remuante et la facilité d’élocution nécessaires pour parler à la foule et pour faire appel à tous ces souvenirs de race par lesquels il fallait la passionner. La besogne fut partagée, et M. Gaj prit pour tâche d’agiter la Croatie et de lui inspirer des sentimens dont M. Draschkowicz était prêt à se faire l’organe dans les corps constitués.

On débuta simplement, avec réserve et patience, et, quoique la question politique ne pût disparaître sous les questions littéraires, on fit si bien qu’elle prit, aux yeux de tous, le caractère d’une simple contestation municipale entre Illyriens et Magyars. Par là, au lieu d’effrayer l’Autriche, on put l’intéresser dans la cause illyrienne. Les Magyars donnaient quelque tracas, peut-être même quelques inquiétudes au cabinet de Vienne ; l’Autriche trouva dans l’illyrisme un moyen de faire diversion aux projets de ces populations, bruyantes. Loin de le comprimer alors, elle l’eût volontiers fait naître.

M. Gaj commença par fonder des journaux illyriens d’une apparence fort inoffensive. Ces journaux n’étaient destinés, suivant ses déclarations, qu’à remettre en lumière les richesses peu connues de la littérature ragusaine ; ils en devaient répandre le goût, et, par occasion, offrir un asile et un appui aux jeunes écrivains qui se voueraient à défendre les droits municipaux, les privilèges locaux, c’est-à-dire l’originalité nationale du royaume croate contre les empiétemens de l’esprit et de l’administration magyares. Tel fut le but de la Gazette croate (Novine Horvatzke), journal politique qui partit en 1835 avec un supplément littéraire intitulé : Étoile du matin croate, slavone et dalmate (Danica horvatzka, slavonska i dalmatinska). Ainsi une politique prudente et réservée s’unissait à des travaux d’érudition et de poésie qui contribuaient encore à en voiler le véritable but.

Le succès vint promptement ; on n’en fit point trop de bruit ; il fallait cependant le constater, il fallait s’en prévaloir, il fallait surtout tenter un nouveau pas plus hardi et aussi sûr que le premier : M. Gaj y réussit. Sa première feuille politique ne s’adressait qu’à la province de Croatie, c’est-à-dire à une population d’environ liait cent mille ames, et sa feuille littéraire n’intéressait de plus que la Slavonie et la Dalmatie, c’est-à-dire, en somme, environ douze cent mille arases. M. Gaj entreprit de