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candor, de Tite-Live. L’exemple en était nouveau, même après la lumière du style de César, même après le coloris de Salluste. César dessine à grands traits plutôt qu’il ne peint. Comme ce n’est point par l’imagination qu’il soit les choses et les hommes, mais d’un regard que ne trouble aucune émotion et par une sorte de connaissance anticipée qu’il en a par la raison, il faut réfléchir sur son style pour en être frappé. Salluste est plus coloriste que César, et la première lecture lui est plus favorable ; mais la réflexion lui ôte quelques-uns de ses avantages. On découvre bientôt qu’en poursuivant à la fois deux mérites qui semblent s’exclure, qui du moins se contrarient, la couleur et la concision, la couleur qui sépare les objets, qui les distingue, qui leur donne un corps, la concision qui les réunit, les résume, les abstrait, il arrive quelquefois à des expressions générales qui promettent plus qu’elles ne tiennent. Tite-Live, est coloriste par l’intérêt de sensibilité qu’il prend à toutes choses, et aussi parce qu’il est un peu de la nature des poètes, chez qui l’art de l’écrivain est le plus près de l’art du peintre ou du sculpteur, et la plume qui écrit de la plastique qui modèle.

Le premier des historiens romains, Tite-Live, eut l’idée et l’amour de la patrie. Il n’y a pas de patrie dans les mémoires de César ; il y a César, et Rome n’est plus qu’une ville qui lui coûte moins à prendre que Brindes. Il n’y a pas de patrie dans Salluste ; il n’y a que des partis. Ni l’un ni l’autre n’ont aimé Rome ; César se substituant à elle, Salluste n’y trouvant pas sa place. Les grands hommes les touchent médiocrement : César, parce que les plus grands le sont moins que lui ; Salluste, parce qu’il n’admire guère, et peut-être parce qu’il se pesait au poids de César, lui qui, faisant quelque part allusion à Caton, se vante d’avoir réussi où Caton avait échoué. Pourquoi César écrit-il ? Nous l’avons dit : pour se faire admirer et craindre à Rome. Et Salluste ? Pour la réputation qui s’attache à la pratique d’un art honnête ; pour ne pas perdre dans l’oisiveté et l’inaction le loisir que lui fait la retraite ; parce que cela sied mieux que l’agriculture ou la chasse ; parce que de toutes les occupations où l’on exerce son esprit, l’une des plus utiles est d’écrire l’histoire. Tite-Live écrit pour sa patrie et pour se consoler des maux qui l’ont accablée dans les derniers temps par le spectacle de ses grands commencemens et de ses progrès. Tant qu’il verra prospérer et s’accroître cette république, « la plus grande, dit-il, la plus vertueuse, la plus riche en bons exemples qui fût jamais, » il se sentira soulagé et content.

Tite-Live est le premier historien véritablement homme de bien. L’éloge n’en est-il pas injurieux pour César et Salluste ? César n’était-il pas homme de bien ? Oui, par occasion, s’il le fallait, s’il y avait politique à l’être et parce qu’il n’avait aucun goût à ne l’être pas, en homme autant au-dessus de ses qualités que de ses vices. De même que, tout en ayant de la bonté, il pouvait être cruel, il avait de l’honnêteté, quoiqu’il fût toujours près d’en manquer. Sa morale, c’était sa raison appréciant son intérêt. L’intelligence de César se servait de tout, du bien comme du mal indifféremment, n’obéissait à rien, doutait des dieux, même de Vénus, quoiqu’il en eût fait la mère de sa lignée ; ne croyait guère à la morale, quoiqu’il fût meilleur que celle de son temps, et égal, en bien des actions, aux plus nobles devoirs de la morale universelle ; croyait pourtant, faut-il le dire ? à des règles de goût et obéissait à la tyrannie de la rhétorique. Pour Salluste, je le trouve trop moraliste pour un homme de bien, et nous avons soupçonné son