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d’une expérience ne sert qu’à les confirmer dans leurs principes. Ce fut précisément après son double échec que le maréchal en vint à se persuader que son procédé colonial offrait la seule chance de salut, et qu’il ne lui manquait pour réussir que d’être appliqué sur une vaste échelle. Sous l’empire de cette conviction, le cadre des colonies militaires n’a cessé de s’élargir dans une proportion dont on ne voit pas encore les dernières limites. Le premier projet, soumis en 1842 au gouvernement, évaluait la dépense totale à 30 millions pour l’établissement de 20,000 soldats. En 1845, un second projet, publié dans les journaux algériens comme pour sonder l’opinion, élevait la population militaire à 100,000 familles, pour lesquelles on pouvait prévoir une av ce de 350 millions, somme probablement insuffisante et qu’il ne faut considérer que comme un premier mot[1]. A l’appui de cette demande, un système formulé en 21 articles, sous trois titres différens, a pris la forme d’un projet de loi. En voici la substance. Les colons militaires, pris dans l’armée active, doivent être au moins depuis deux ans sous les drapeaux et avoir encore au moins trois ans de service à faire. Ils obtiendront un congé de six mois pour aller se marier : une indemnité leur sera allouée, ainsi qu’à la femme qu’ils ramèneront, pour les frais de route et le transport de leurs bagages. Pendant leur absence, la construction des villages, les défrichemens, les routes, en un mot les préliminaires d’une installation coloniale, seront accomplis par les soldats restés sous les drapeaux. Le colon, de retour avec sa femme, n’aura à fournir que son travail. L’état offre au simple soldat la propriété incommutable de dix hectares de terres cultivables, en un ou plusieurs lots. La part des chefs sera proportionnée aux grades, de telle sorte que les colonels et lieutenans-colonels obtiennent 5 parts ou 50 hectares, les chefs de bataillon 4 parts, et ainsi des autres. Il sera alloué à chaque famille militaire une paire de bœufs de labour, une paire de vaches, dix brebis, tue truie, une charrette, deux charrues et les menus outils aratoires, les arbres à planter, les semences de toute nature. Pendant trois ans, les soldats recevront, avec les vivres de campagne pour eux et leur ménage, la solde, l’habillement, l’équipement, et toutes les prestations de l’infanterie. Il pourra leur être fait l’avance, remboursable en trois ans, d’une valeur de 400 francs en mobilier indispensable. Trois ans doivent suffire aux colons pour fonder leur existence future. Au bout de ce terme, ils perdront leurs droits aux vivres et à la solde : l’équipement et l’armement leur resteront en toute propriété, à charge de les entretenir. Pendant la durée de leur service, les colons seront soumis à la discipline militaire ; dès qu’ils

  1. Nous verrons plus loin qu’en réfutant le projet du général de Lamoricière, le maréchal évalue la dépense à 6,130 fr. au maximum par famille, somme qui, multipliée par 100,000, donnerait 613 millions.