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transmigration des ames, encore vivace chez leurs mères. Sans être jolies, les jeunes mulâtresses plaisent par un air de florissante santé, qui rachète l’expression un peu dure de leur physionomie.

L’espace ne manque point autour des straitmen ; une ou deux familles au plus résident sur une même île. Les habitations, bâties en mortier, ont une apparence chétive et désagréable ; mais elles sont propres et commodes à l’intérieur. Sur une de ces îles, un vieux settler, appelé James Monro, s’est acquis une certaine célébrité ; on l’avait surnommé le roi des straitmen de l’est. Un serviteur et trois ou quatre femmes indigènes habitaient la lutte grossière qui lui servait de palais. Quelques chiens, des chèvres et des poules formaient toute sa fortune. Monro cependant vivait là depuis près de vingt-cinq années, et il s’y trouvait heureux.

Des hommes appartenant à des classes distinguées de la société européenne viennent parfois cacher dans les îles d’irréparables revers et oublier ce qu’ils appellent les injustices du monde, c’est-à-dire, le plus souvent, leurs propres erreurs et leurs propres fautes. Ils se sentent libres au moins en face d’une nature dont le caractère primitif n’est pas dépourvu de grandeur. Nul écho du monde qu’ils ont fui ne réveille leur douleur endormie, ne trouble le silence de leur retraite ; on en voit qui ne consentiraient à aucun prix à changer cette vie rude et laborieuse contre la vie sociale dont ils ont repoussé les entraves. C’était une jouissance pareille que cherchait la nièce de Pitt dans les montagnes de la Syrie. Pourquoi n’était-elle pas allée plus loin ? Le bruit du monde lui arrivait encore de temps en temps, et de poétiques voyageurs montaient parfois jusqu’à son aire troublée. Des courans périlleux, des brisans couverts d’une écume éternelle, des ouragans quotidiens, protégent plus sûrement les îles solitaires du détroit de Bass.

La plupart des réfugiés prennent vite les mœurs des straitmen ; ceux qui ont amené avec eux leur famille conservent seuls les anciennes habitudes et font exception parmi les ermites de cette thébaïde. On voyait encore, il y a quelques années, à l’île de King, un capitaine de l’armée anglaise, nommé Smith, que la fortune avait maltraité. Il avait avec lui sa femme, une fille et trois ou quatre jeunes garçons. Sous leur toit de chaume, ces émigrés volontaires ne se plaignaient point de leur dénûment. La cabane renfermait une bibliothèque et des instrumens de musique ; elle était entourée d’un jardin où réussissaient assez bien des légumes importés d’Europe. Les kangourous et les poules sauvages servaient aussi à la nourriture de la famille. Le capitaine Smith avait parcouru l’île entière, afin de choisir le lieu le plus convenable pour y fixer sa demeure, et il s’était établi au bord de la mer, près d’un excellent mouillage.

Cette existence paisible et retirée n’est pas commune à tous les habitans