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traliser réciproquement leur influence sans ouvrir la porte aux intrigues et aux complots de l’absolutisme.

Notre gouvernement a publié quelques nouvelles officielles de Taïti, qui ont fait connaître l’état dans lequel se trouve cette île. La sécurité de nos établissemens y est assurée, mais la tranquillité n’y est point encore complète, et une partie de la population se maintient dans une attitude d’opposition et même d’hostilité. Des lettres particulières nous confirment ces nouvelles ; elles donnent sur l’état du pays des détails qui ne permettent pas d’illusion sur les difficultés. Toutefois ces lettres insistent sur l’intérêt qu’il y a pour la France à s’établir dans ces parages. Toutes s’accordent à dire que l’île de Taïti est fertile, que sa position est centrale dans l’Océanie, que le port de Papéété est excellent, facile à défendre, et présente un refuge sûr à notre marine de guerre et de commerce dans le grand Océan. Dans l’une de ces lettres, on remarque que l’Angleterre ne montrerait pas tant de jalousie et de mauvaise humeur de nous voir là, s’il n’y avait pour nous aucun avantage à occuper ces points. « Ce qui dégoûte la France de ces établissemens, dit cette lettre, ce sont les difficultés qui en sont résultées avec l’Angleterre : on a trouvé que les profits de ces possessions lointaines ne compensaient pas les inconvéniens de discussions qui ont failli ébranler l’entente cordiale ; mais que l’on suppose un instant que ces difficultés ne se soient pas rencontrées, que l’établissement ait eu lieu d’une manière naturelle, et alors on sera moins sévère : c’est ce qui est arrivé pour Mayotte. Il y a peut-être là un manque de volonté et de saine appréciation qui est peu digne d’un grand peuple. »

Quoi qu’il en soit de la justesse de cette assertion, on ne peut nier que notre établissement à Taïti n’ait rencontré de graves difficultés qui ne sont pas à leur terme. Les lettres que nous avons sous les yeux montrent que ces difficultés ne sont pas aussi exclusivement du fait du gouvernement britannique qu’on l’a supposé, mais qu’elles sont une conséquence naturelle de l’état d’un pays fréquenté depuis un demi-siècle par les Anglais, converti et à demi civilisé par leurs missionnaires, que le gouvernement britannique protège sans doute, mais qui sont hors de sa dépendance. À ces causes, dont on n’a pas assez tenu compte en Europe, il faut joindre le caractère des indigènes, dont on s’était fait une très fausse idée ; on les jugeait doux, paisibles, asservis : on les a trouvés tels que l’étude de leur histoire, si on l’avait sue alors, les aurait fait connaître, rusés, batailleurs, tenaces, désireux d’indépendance. Enfin on a rencontré un élément de résistance, auquel on n’avait pas songé, dans les Européens vagabonds qui pullulent sur ces mers, qui se sont mêlés aux indigènes, et qui, plutôt par goût pour le désordre que par tout autre motif, ont pris parti pour eux et les ont poussés à la rébellion.

Toutes ces difficultés ont certainement rendu notre établissement à Taïti très pénible ; mais le chef qui a dirigé cette opération épineuse, M. le contre-amiral Bruat, a montré une capacité remarquable, une vigueur mêlée de tempéramens, une prudence et une ténacité qui ont triomphé des obstacles. La décision avec laquelle il a eu recours aux hostilités, le courage avec lequel les forces sous ses ordres, toujours inférieures en nombre, ont attaqué et battu des populations soulevées ou menaçantes, ont conquis une attitude de supériorité que la seule défensive n’aurait jamais donnée, et qui, si elle a été payée de quelques victimes regrettables, a hâté certainement le terme des hostilités et la soumission des indi-