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européenne n’apporta pas dans leur esprit le plus léger doute sur la religion de leur enfance. « Dieu livre la vie présente aux infidèles, disaient-ils avec le Coran ; la vie future sera l’apanage exclusif des élus. » Ils trouvèrent très originale la précaution de mettre une bible dans le havresac de chaque soldat, et parurent douter un peu de l’efficacité de cette prédication portative.

Quant aux deux parsis, ils surent un gré infini au vénérable ministre qui leur montrait les mathématiques de n’avoir pas même essayé de leur enseigner autre chose. Au reste, ces hommes enchaînés par les usages religieux les plus bizarres, qui purifient leurs demeures et leurs personnes avec les excrémens d’un bœuf, qui regardent comme un crime digne de mort de souffler une bougie avec la bouche, ces mêmes hommes, chose étrange, sont des admirateurs et presque des disciples de Voltaire. A la vue de son image dans le salon de Mme Tussant., ils s’arrêtent avec complaisance sur son éloge..

« Nous avons beaucoup entendu parler dans l’Inde, disent-ils, de ce célèbre écrivain, que ses ennemis regardaient comme un athée, parce qu’il n’était pas catholique. Nous avons appris qu’il adorait un seul Dieu, tandis que ses détracteurs en reconnaissaient trois. C’est donc déiste et non athée qu’ils auraient dû le nommer. Nous avons regardé son effigie avec respect, pensant qu’il lui avait fallu bien du courage et de bien fermes convictions pour s’élever ainsi contre la religion de son pays. Maintenant Voltaire et ses persécuteurs ont comparu devant le même Dieu : ils ont éprouvé que celui qui a créé le déiste, le chrétien, et le parsi, reçoit dans son sein paternel quiconque agit d’un cœur sincère, conformément à sa croyance. »

Les deux parsis de Bombay en viennent presque à reproduire un passage de la Henriade[1] pour célébrer Voltaire. La coïncidence est singulière. Quoi qu’il en soit, nous ne voulons pas trop voir ici la main de l’éditeur anglais ; il ne faut pas oublier que les architectes parsis ont depuis long-temps subi l’influence des idées étrangères. On aime d’ailleurs à retrouver ce cri de la conscience du genre humain au milieu des bégaiemens d’une civilisation imparfaite. L’unanimité de la raison, noble cachet de notre céleste origine, devient plus frappante encore à travers la diversité des dialectes, des coutumes et des mœurs. En lisant de pareils ouvrages, on croit voir les différens âges de la société antique qui se réveillent pour venir contempler la nôtre. Ces voyages inusités, ces longs étonnemens, ces naïves admirations rappellent les merveilleux

  1. Ce Dieu les punit-il d’avoir fermé leurs yeux
    Aux clartés que lui-même il plaça si loin d’eux ?…
    Il grave en tous les cœurs la loi de la nature,
    Seule à jamais la même et seule toujours pure ;
    Sur cette loi, sans doute ; il juge les païens,
    Et, si leur cœur fut juste, ils ont été chrétiens.