Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/1113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’où peuvent à la rigueur être extraites ces notions précieuses que livrent chez nous à tout étudiant un peu appliqué ses trois années de licence. Avec un an de plus, notre licencié devient docteur, et, grace à la merveilleuse simplification de nos lois fondamentales, ce qu’il sait alors équivaut à ce que peut apprendre en vingt ans un barrister anglais.

La loi, qui demeure inconnue, même de ceux qui l’appliquent, se trouve virtuellement annulée, et les juges, qui devraient en être les interprètes dociles, en deviennent les régulateurs absolus. Ils supposent, il est vrai, — mais ils ne font que la supposer, pour donner une autorité plus grande à leurs décisions, — l’existence d’une coutume ignorée de tous et à laquelle personne, équitablement, ne peut être tenu de se conformer. Et cependant cette jurisprudence arbitraire, sans autre autorité que celle de l’intelligence et de la loyauté individuelles, est environnée de respect ; à peine quelques esprits, pour ce fait réputés fort téméraires, se permettent-ils d’en contester les avantages et la certitude. D’éminens jurisconsultes, tels que lord Mansfield par exemple, ont même été jusqu’à proclamer la supériorité de la loi commune, mieux adaptée à toutes les circonstances, plus flexible, moins limitée dans ses prescriptions, sur la loi-statut, dont les prévisions incomplètes ne fournissent presque jamais tous les élémens d’une décision conforme à la stricte équité.

Un pareil état de choses, énorme à nos yeux, qui n’y sont plus faits, mais très facilement toléré par un peuple marchand dont l’industrie absorbe, dirait-on, toute l’ardeur et toute l’activité, donne aux avocats, et surtout aux agens d’affaires, une liberté d’action, une audace, une puissance dont ils doivent fréquemment abuser. En vertu d’un concert tacite, où des intérêts identiques ne souffrent pas la moindre discordance, ils augmentent encore, par toutes les rubriques de la chicane, l’obscurité favorable qui enveloppe le mécanisme des opérations judiciaires. Le moindre acte est par eux allongé, surchargé de mots barbares, de définitions redondantes, de clauses énigmatiques ; fatras indigeste dont les cinq sixièmes pourraient être supprimés sans rien ôter à la teneur essentielle de ce document, si l’on ne prétendait ainsi décourager par avance l’homme assez prudent pour lire ce qu’il va signer et vouloir en comprendre les mystérieuses formules. Il est bon, il est indispensable que tout ce grimoire terrifie dès l’abord le client qui voudrait jeter dans un procès l’incommode lumière du bon sens. Il faut que, contrit et perplexe, il s’abandonne aveuglément à la bonne foi de ses conseillers, à l’équité de ses juges. Toute autre façon d’agir est sacrilège au premier chef et attentatoire aux droits de Thémis.

Moyennant ces précautions, tout Anglais à qui échoit, pour son malheur, l’obligation d’ester en justice, est aussi complètement à la merci