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déficit de ce produit actuel se trouverait réduit à moins de 15 millions de francs ; il suffirait pour le combler que le nombre des lettres s’accrût de 46 millions dans le rayon de 40 kilomètres à 900, c’est-à-dire que le nombre total fût porté de 120 à 166 millions. Je ne crois pas que le pessimiste le plus déterminé conteste la certitude presque absolue d’un pareil résultat.

La question de savoir si l’on doit, dans le système d’une taxe uniforme, rendre obligatoire l’affranchissement préalable, n’était pas tranchée par la proposition de M. Glais-Bizoin. La commission, par l’organe de M. de Girardin, se prononce contre cette forme de perception qui est pourtant d’un usage universel en Angleterre. Je ne la discuterai pas ; on peut laisser aux faits le soin de vider cette difficulté. Si le nombre des lettres ne fait que doubler ou tripler en France, sous l’empire de la taxe à 20 centimes, l’affranchissement préalable, qui simplifie la distribution et par conséquent la dépense, ne deviendra peut-être pas nécessaire. Une circulation plus forte amènera cette nécessité, à moins que l’on ne veuille augmenter le personnel et le budget dans une proportion considérable.

En résumé, le tarif actuel des lettres est à la fois inique et oppressif. Il gêne les rapports des citoyens entre eux et comprime l’essor du revenu. Dans l’économie générale d’une société qui tend à multiplier les relations de ses membres, qui développe à l’infini ses moyens de locomotion et de transport, il constitue une anomalie véritable. La réforme est dans tous les vœux ; elle est possible dès aujourd’hui avec quelques tempéramens. Par quel motif, dans quel intérêt la replongerait-on dans ces limbes éternels de l’ajournement qui engloutissent en France, depuis trente ans, les idées, et jusqu’aux affaires ?

Nous sommes fiers de la multitude des livres qui se publient au XIXe siècle ; nous énumérons avec complaisance les journaux répandus en France, et nous ne voyons pas sans orgueil s’accroître leur clientèle : à Dieu ne plaise que je proteste contre les facilités que peut rencontrer ce progrès ! Mais la civilisation n’est pas tout entière dans la diffusion de la lettre moulée ; elle ne consiste pas uniquement dans les journaux et dans les livres : elle vit du contact des sentimens et des affections autant que de l’échange des idées. Que dirait-on d’une loi qui interdirait aux hommes les épanchemens du foyer domestique pour les obliger à se rencontrer dans la vie commune des clubs ? Voilà pourtant ce que fait le pouvoir, quand il favorise la circulation des journaux, sans donner des facilités équivalentes à la circulation des lettres : on néglige les mœurs pour les opinions ; on oublie que l’esprit public a besoin lui-même de se retremper à la source vive des sentimens et des sympathies.


LEON FAUCHER.