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boutans du couvent ruiné do Carmo. Par-delà on aperçoit la vaste rade, large de trois lieues, baignant dans un lointain fabuleux des grèves, de blancs villages, que surmontent fièrement des montagnes aux sommets abrupts. Cet ensemble, sous un soleil étincelant, compose un admirable tableau ; mais on y sent l’absence de premiers plans. Toute ville qui ne peut jeter un pont sur son fleuve ou l’étreindre entre deux lignes de quais est dominée par lui. Le Tage est donc trop grand pour Lisbonne ; il entraîne le regard vers des horizons immenses, faute de monumens proportionnés qui l’arrêtent, comme les collines arides adossées à la ville fatiguent l’esprit et le portent à la tristesse faute de verdure,’ Trois cent mille habitans, dispersés sur un espace indéfini, ne suffisent pas à animer ce désert de la terre et des eaux.

Aussi, hors des quartiers marchands, qui sont assez limités, on ne rencontre plus que des rues sans fin, des faubourgs perdus sur les collines, des quartiers presque inanimés, interrompus par des enclos, des vignes et des plantations d’oliviers. Sous le poids des chaleurs accablantes de l’été, une promenade entre ces murs brûlans n’offre rien d’agréable ; il faut gravir des pentes abruptes côte à côte avec le paysan qui aiguillonne ses petits bœufs et pousse son chariot à jantes pleines, véhicule primitif pareil à celui du fellah égyptien ; il faut se frayer un passage au milieu d’une troupe d’ânes qui descendent au grand trot, chargés de paniers de terre, braver la poussière que soulève en sa course rapide la sege, cabriolet de place à deux chevaux, guindé sur deux roues grêles et hautes, qui le font ressembler de loin à une sauterelle. Puis, arrivé au sommet de la rampe, on sent une fraîche brise, à la vue de l’immense horizon qui se déroule jusqu’à la mer, on comprend que le besoin d’avoir sa part d’air et de contempler ce panorama par-dessus la tête des voisins ait attiré les habitans de Lisbonne sur les hauteurs. Qu’importe l’éloignement du centre des affaires pour le bourgeois ? Quant au fidalgo, il renonce à se rapprocher d’une cour qui semble n’avoir pas de demeure fixe. Sur ces rampes éloignées, le riche et le pauvre se sont établis chacun dans les conditions de son existence. L’un y a bâti entre cour et jardin sa grande maison décorée du nom de palais, l’autre son humble cabane ; le premier a suspendu au-dessus du porche son blason vaniteux, l’autre a incrusté au-dessus de sa boutique l’image de la Vierge ou de son patron peinte en bleu sur faïence. Le contraste est souvent plus marqué encore, et, à côté des spacieuses villas de la noblesse ou de la bourgeoisie opulente, on est surpris de rencontrer tant de ruelles infectes, où l’habitant d’un pays civilisé vit au milieu des immondices. Pourquoi ces tas d’ordures que des chiens affamés, — moins menaçans, il est vrai, mais aussi hideux que ceux de Constantinople, — retournent sans cesse et dispersent de tous côtés ? Si vous adressez cette question à un passant, il vous répondra que depuis