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Portugal aient renoncé à habiter le beau pavillon qui, dominant le port, forme l’un des angles de la grande place. Dans la retraite de Bélem, dans le couvent agrandi des Necessidades, ils vivent trop loin du peuple : ils ne voient point autour d’eux s’agiter la foule avec ses émotions et comprennent peu ses souffrances ; mais quand la royauté, mal conseillée, veut fermer les oreilles à l’accent de la vérité, il s’élève des voix importunes qui la lui font entendre sous une forme sévère et violente. Ainsi, dès que les journaux eurent cessé de paraître à Lisbonne, une presse clandestine, introuvable, forcée de changer de gîte tous les soirs, lança dans le public un journal, un carré de papier que la brise semblait semer dans toutes les rues. Écrit par un homme qui brave la prison et les châtimens, que la police traque partout, qui ne sait où reposer sa tête, le Spectre, — c’est le nom de cette feuille, — s’attache à troubler le repos des courtisans en leur parlant face à face, en leur apparaissant sous la forme d’un accusateur terrible. Parfois, comme il le dit lui-même, il va frapper à la porte du palais des Necessidades ; insaisissable comme un fantôme, se riant des gardes et des hallebardiers, il emprunte la voix de ceux qui, après avoir versé leur sang pour élever en Portugal un trône constitutionnel, se plaignent noblement d’être dépossédés de leurs grades, mis hors la loi, et réduits à tendre la poitrine aux balles des soldats qu’ils ont jadis conduits à la victoire. Puissent ces reproches, traduits dans un langage moins amer, arriver au cœur de ceux qui gouvernent le Portugal, et leur inspirer l’horreur de ces coups d’état d’où naissent des guerres civiles dont l’issue est impossible à prévoir ! Un pays qui a étonné l’Europe par ses conquêtes, par ses expéditions hasardeuses, qui le premier a ouvert des routes nouvelles à l’essor des peuples modernes, ne doit-il plus se révéler au monde que par le triste éclat de ses dissensions et de ses misères !


THEODORE PAVIE.