passant venu, et ce passant lui tient lieu d’idée ; un groom, une femme de chambre, un colporteur dont on suppose les aventures, vont servir de sujet à un livre. Tout ce qui a pu arriver à cet étrange héros, on le détaille, et un personnage réellement et matériellement vrai devient un être parfaitement faux ; le langage qu’il parle est mensonge, les idées qu’on lui prête sont factices. Une fois le mensonge bâti et solidement assis, le trafiquant littéraire signe son traité avec l’original de son conte ; à ce dernier le quart du produit, le reste au metteur en œuvre. Les prétendues confessions paraissent ; populaires et personnelles, elles flattent le temps actuel ; le public achète d’abord, rejette ensuite, et la bibliothèque des livres inutiles, encombrée déjà, plie sous un volume nouveau.
Ce caractère factice est très vivement empreint sur quelques autres livres prétendus populaires que la presse de Londres publie à l’imitation de la presse américaine ; nous citerons l’histoire d’une femme de soldat anglais, Marie-Anne Wellington[1]. C’est une personne en chair et en os, et qui vit encore, ainsi que le prouvent les témoignages réunis du maire de Norwich, M. Freeman, du révérend M. Cobbold, et même au besoin de son altesse royale la reine douairière d’Angleterre qui lui fait du bien. Cette femme de soldat a couru l’Europe et porté le mousquet, elle doit avoir des choses fort curieuses à dire ; probablement elle les a dites à M. Cobbold, éditeur et rédacteur de ses mémoires. Que de beaux récits abîmés et gâtés misérablement ! Qu’elle aurait pu être intéressante, cette simple compagne du soldat, si son secrétaire avait voulu lui permettre de rester simple ! Une fille élevée au bord des précipices de Gibraltar, née d’une mère portugaise et d’un soldat irlandais, après s’être mariée sous la tente, devient mère pendant une retraite ; elle veille sur le champ de bataille, son enfant au sein, auprès de son mari blessé ! Puis elle traîne péniblement ce blessé pendant que les deux flottes française et anglaise se battent pour Napoléon ou M. de Castlereagh ; les navires s’entrechoquent à dix milles de la plage ; les coups de canon et le bruit de l’Océan se mêlent à l’oreille de la pauvre femme, qui, bientôt, traversant l’Espagne à pied, se trouve associée à des bohémiens, et, de périls en périls, revient à Londres pour y habiter comme tavernière un petit taudis près des Seven-Dials. Elle méritait un annaliste semblable à celui de Robinson Crusoé, et elle n’a trouvé qu’un déclamateur prétentieux. Elle lui apportait la vie la plus romanesque, la plus pittoresque, la plus ingénue, tous les matériaux vivans du roman populaire. Mais M. Cobbold, ministre anglican, qui en veut beaucoup à l’impiété, à la révolution française et à M. de Voltaire, n’entend pas perdre cette bonne occasion de nous sermonner par l’organe de son héroïne. Ayant dû jadis aux mémoires d’une déportée à Botany-Bay, Marie Catchpole, un succès passager[2], il a cru que ce