Un ouvrier écossais, filateur et tisserand de son métier, mêlé jadis aux conspirations chartistes, William Thom d’Inverary, a eu du moins quelques révélations à donner et quelques faits à raconter[1]. Il n’écrit pas bien, mais il écrit lui-même. L’expression lui manque souvent ; à défaut d’art et de style, vous devez honorer en lui un homme sincère. A côté de ce Thom d’Inverary se place un personnage très peu prétentieux et à ce titre le moins fatigant de tous les écrivains prolétaires ; c’est un petit tailleur assez lourd d’esprit et d’une rare exactitude, lequel, après avoir voyagé le havresac sur le dos en Europe et en Asie et avoir compté ses étapes, a cru devoir au monde le récit de ses excursions. Il se nomme Holthaus ; son livre, écrit et publié en allemand il y a plusieurs années, a été traduit en 1845 par le quaker Howitt. Comme tous les hommes peu instruits, il s’étonne de beaucoup de choses dont personne ne s’étonne plus ; mais il est courageux et naïf, deux qualités admirables par le temps qui court.
Non-seulement les livres médiocres que j’ai groupés signalent l’effort des hommes de classe secondaire pour conquérir un pouvoir intellectuel, mais de toutes parts sur la face du monde l’individualité humaine se fait jour ; le moi, comme disent les Allemands, se manifeste avec violence et se falsifie en se révélant. Ces faits, résultats définitifs du principe de la fraternité humaine, annoncent assez que dans les domaines de la politique, des arts, de la littérature, les masses sont reines. C’est à leur intronisation mal réglée qu’il faut rapporter ces écrits singuliers, dont le groupe a fixé notre attention, livres populaires par le titre, artificiels en réalité, se parant d’une vulgarité menteuse, et dont le style et la composition manquent de vérité et de spontanéité d’une part, de profondeur philosophique de l’autre.
Ils sont flétris des vices qui entachent la littérature savante ou ornée de l’Europe actuelle ; vices fondamentaux, fils de l’énervement et du sensualisme. Le procédé de mécanisme pur et d’arrangement brutal ravale et éloigne de leur nature exquise et divine les secrètes forces de la pensée. Cela ne peut régner long-temps. Laissons grandir les élémens populaires ; ces forces vitales s’organiseront un jour en s’épurant, pour produire un monde littéraire nouveau, émancipé et inattendu. Jusqu’à cette époque d’organisation, tout sera question, incertitude et ténèbres : les fabricateurs et les spéculateurs feront leur œuvre, s’empareront du penchant public, et en tireront de passagers bénéfices ; mais ce n’est pas là une littérature « populaire, » c’en est la prophétie, l’effort et le mensonge.
PHILARÈTE CHASLES.
- ↑ Rhymes and Recollections, etc., by W. Thom. Edinburgh, 1844.