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campagne, nous ne sommes pas disposé à amoindrir son importance. M. de Beckerath, M. Hansemann, M. Mévissen, M. Camphausen, M. Milde, tous ces fermes caractères, donnent à leur pays des exemples qui ne seront pas perdus. Ils font l’éducation de l’esprit public et l’accoutument à la fermeté opiniâtre, au bon sens pratique, à la discipline, sans laquelle il n’y a pas de victoires fécondes. Je ne doute pas que le parti constitutionnel, dirigé par de tels guides, n’arrive à occuper une grande place dans les affaires de l’Allemagne. Prenez garde pourtant si M. Hansemann et ses amis ne triomphent pas, si le gouvernement prussien s’obstine dans la résistance, si l’esprit du moyen-âge avec ses institutions condamnées usurpe pendant quelque temps la place de l’esprit moderne, j’entrevois pour l’Allemagne des difficultés que sa situation philosophique compliquerait d’une façon terrible. Indifférentes aux débats du parlement, les générations nouvelles se grouperaient de plus en plus autour des chefs de la jeune école hégélienne ; cette doctrine de l’athéisme, déjà si répandue, déjà sortie de l’ombre des écoles et entrée dans la vie, gagnerait des milliers d’adhérens ; Bruno Bauer, Feuerbach, Ruge, Stirner, seraient considérés comme les libérateurs de la raison, et il pourrait se faire que, le jour où la constitution serait sérieusement accordée, cette constitution fût repoussée avec dédain comme une œuvre stérile. Les courtisans disent aujourd’hui que ce morceau de papier serait une oppression pour la royauté ; les démagogues emploieront les mêmes termes et trouveront le contrat oppressif pour le peuple. Où est le danger, où est la lutte vraiment périlleuse désormais ? Ne croyez pas qu’elle soit entre les partisans du pouvoir absolu et les libéraux constitutionnels ; cette lutte-là n’est rien, l’issue du combat est trop manifeste. La vraie lutte, je la vois établie entre le parti constitutionnel et le radicalisme. Cette lutte n’a pu s’engager en France, grace à la marche prompte et régulière de l’esprit public ; prenez garde qu’elle n’éclate un jour dans les pays allemands. C’est là l’espérance des radicaux, et, en comprimant le parti constitutionnel, on leur rend service, on prépare leur triomphe ! Il suffit de voir leur indifférence pour la belle campagne parlementaire de MM. Hansemann et Beckerath. Que serait une constitution, en effet, pour ceux qui ont rêvé la réforme radicale du monde, et qui ont commencé par détrôner Dieu ? Plus vous refusez les satisfactions que réclament les esprits droits, plus vous encouragez les esprits égarés. Privés d’air et de soleil, ils finissent par se complaire, comme M. Arnold Ruge, dans la maladie qui les frappe ; ignorans de la vraie liberté, ils invoqueront la liberté monstrueuse dont M. Stirner a tracé l’image !

Que faire donc pour combattre le mal ? Répétons-le, un seul remède serait efficace : ce serait l’introduction franche et complète de l’Allemagne dans les voies de la civilisation libérale. Ce désespoir de l’intelligence