suite ; du reste, Espagnol forcené, rustre, et au besoin mal peigné pats pur esprit national et pour échapper au soupçon d’affectation française ; bonhomme au demeurant et s’estimant, sans honte comme sans fausse modestie, juste ce qu’il vaut : « À quoi sommes-nous bons, » — c’est un ultra-batueco qui parle, — « sinon à rester employés ? Voudriez-vous que, dans nos Batuecas, des gens habitués à leur bureau, à leur second déjeuner, à leur gazette, à leur cigare, allassent s’extravaser dans la tête une demi-douzaine de sciences et d’arts utiles, comme on les nomme, et cela pour vivre autrement qu’ils n’ont vécu de père en fils, sans l’oreiller de l’émargement mensuel et les petits profits en eau trouble ! Dieu sait que c’est folie, car moi et mes pareils, qui ne sommes pas peu nombreux, nous avons la tête mieux prise pour servir de moule à perruques que de réservoir à sciences, et je le dis avec fierté… » Ce dernier mot, que nos lecteurs pourraient suspecter d’exagération épigrammatique, est pris sur le fait ; c’est le pendant ultra-pyrénéen de la féodale formule : Ne sait signer parce que noble. « Les gens de sang bleu (gente de sangre azul) » n’étudient pas « parce qu’ils ne doivent être ni médecins, ni avocats ; » ainsi le veut le décorum du sang bleu. Et ce n’est pas la haute aristocratie qui vous tient ce langage nulle part, au contraire, celle-ci n’est moins exclusive ni plus accessible aux idées d’égalité pratique et de hiérarchie intellectuelle. C’est l’aristocratie de bureau, sorte de milieu bâtard entre notre ancienne noblesse de robe et notre bourgeoisie. De ce milieu qui a fourni à la France ses plus énergiques penseurs d’avant et d’après 89, l’Espagne n’a vu sortir, jusqu’à ce jour, que le plus inepte des engouemens, celui de l’ignorance devenue mode, décorum, bel air. C’est bien plus la faute des lois que la faute des hommes. Le népotisme, en se faisant l’auxiliaire de l’apathie inhérente au climat, devait nécessairement produire cet abrutissement systématique contre lequel échouera indéfiniment tout essai d’organisation. De temps immémorial, le fonctionnaire de deuxième et de troisième ordre fait agréger à l’administration ses enfans en bas âge, qui prennent aussitôt leur rang d’ancienneté et perpétueront plus tard, sous l’égide des droits acquis, l’incapacité traditionnelle de l’employé espagnol. La révolution, faute de hardiesse dans son point de départ et de parti pris dans son but, a plutôt aggravé qu’atténué le mal. Sur ce vieux sol, qui, du consentement de tous, a gardé la plupart de ses aspérités sociales, droits d’aînesse, majorats, survivances, privilèges d’individu, de race et de corps, le soc réformateur traçait des sillons trop incertains pour entamer assez profondément cette formidable bureaucratie, dont les racines vont se perdre en mille ramifications dans les entrailles de trois siècles. La révolution n’a servi qu’à compliquer cet état de choses d’une grosse difficulté financière. Chaque tempête politique a jeté dans l’administration son flot de
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