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et l’érudition comptent plus d’un représentant distingué, la plus ancienne est la Société des antiquaires de Normandie, fondée en 1823. C’est en présence de cette société, et dans sa dernière séance annuelle, qu’a été prononcé le discours qu’on va lire. Un écrivain dont le goût et les lumières font autorité depuis long-temps en matière d’art et d’antiquités nationales, M. L. Vitet, a saisi l’occasion qui lui était offerte d’exprimer, comme directeur de la Société des antiquaires de Normandie, son opinion sur les progrès et les écarts de l’archéologie française. On reconnaîtra, dans les conseils donnés par l’éminent critique aux artistes et aux antiquaires, un sentiment vrai des devoirs imposés aux uns et aux autres dans cette difficile étude du moyen-âge, qui, long-temps compromise par notre indifférence, rencontre aujourd’hui un nouvel écueil dans notre engouement. Le jugement porté par M. Vitet, sur les tendances de l’archéologie française, méritait d’être recueilli et doit survivre à la solennité qui l’a inspiré.

Si nos monumens historiques commencent à être entourés de quelque vénération, s’ils sont dotés avec moins de parcimonie, si nous pouvons sans témérité concevoir l’espérance de transmettre à nos neveux ces nobles créations du génie de nos pères, c’est à vous, messieurs, je n’hésite pas à le dire, que le premier honneur en appartient. Lorsqu’il y a vingt-cinq ans vous jetiez les bases de votre société naissante, qui songeait à arrêter le marteau des démolisseurs  ? Quelques plaintes éloquentes, quelques poétiques imprécations avaient bien essayé de se faire entendre, mais ces voix isolées s’étaient évanouies sans rencontrer d’échos. L’œuvre de destruction se continuait avec persévérance  ; le public assistait sans émotion, sans regret, quelquefois même avec un secret plaisir, à la chute de ces vieux édifices qu’on lui avait appris à dédaigner au nom des règles de l’art et à railler au nom de la philosophie. Rien ne semblait pouvoir mettre un terme à cette barbare indifférence. Cependant, lorsqu’on apprit que dans une de nos provinces, dans ce pays justement nommé la terre classique du bon sens et de la raison, quelques hommes sérieux et cultivés s’étaient associés pour protéger, pour maintenir debout ce que partout on renversait  ; lorsqu’on sut qu’ils ne se bornaient pas à signaler dans ces monumens des beautés jusque-là méconnues, mais qu’ils leur demandaient comme à des témoins sûrs et fidèles de nouveaux renseignemens sur notre histoire, qu’ils découvraient dans les différens modes de leur construction le secret de leurs origines et préparaient ainsi les élémens d’une science nouvelle, ce fut un trait de lumière qui aussitôt frappa les esprits attentifs, et de ce jour, dans le public lui-même, commença sourdement un mouvement de réaction. L’effet ne s’en fit pas immédiatement sentir  : les idées neuves et fécondes ont-elles jamais triomphé sans combats  ? Vous eûtes à soutenir des luttes laborieuses, et pendant long-temps il vous fallut souffrir que votre zèle conservateur passât aux yeux du plus grand nombre pour une sorte de monomanie  ; mais le germe que vous aviez déposé allait se développant  ; les esprits les plus rebelles s’ouvraient à la lumière. Bientôt, dans la plupart de nos provinces, des sociétés semblables à la vôtre se formèrent spontanément et vinrent en aide aux efforts de vos adeptes isolés. Enfin le gouvernement, auxiliaire plus puissant encore, en épousant votre cause, acheva de décider la victoire. Aujourd’hui cette victoire est complète  ; à quelques exceptions près, de jour en jour plus rares, personne, à l’heure qu’il est, ne se fait gloire d’être vandale ni même indifférent,