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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/981

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bon droit du chouan. Celui-ci fut lui-même frappé de l’évidence de la preuve, et, comme elle assurait le gain de son procès, il déclara avec chaleur que j’en pourrais remontrer à tous les procureurs du pays, et j’entrai immédiatement dans la confiance la plus familière du vieillard. Il me laissa remplir son verre, cessa d’opposer à mes insinuations la toute-puissance de Dieu, et consentit à parler de la grande guerre.

Au début pourtant, il se contenta de répondre à mes questions, et de raconter brièvement les principaux épisodes de l’insurrection ; mais, à mesure qu’il buvait, sa parole devenait plus abondante. Échauffé à la fois par l’eau de feu et par le récit lui-même, il semblait reprendre possession d’une part d’existence long-temps oubliée ; il y entrait comme dans une demeure d’où l’on a été absent trente années et où l’on retrouve, avec un étonnement enchanté, toutes les traces de sa jeunesse.

Je vis insensiblement ses souvenirs se démêler et s’éclaircir, les personnalités, qui avaient d’abord traversé le récit comme de pâles ombres, prendre un corps, une attitude, un accent. La voix du vieux chouan semblait évoquer l’un après l’autre tous ses compagnons de guerre couchés depuis long-temps sous la mousse des bois ou sous l’herbe des cimetières. Je les voyais entrer, le manteau de peau de chèvre sur l’épaule, le fusil à la main et s’asseoir silencieusement près de nous. C’étaient Coquereau, l’homme de colère et de sang, avec l’ancien gabeleur Moulins, le seul lâche qui ait déshonoré ces guerres ; la Raiterie, héroïque enfant qui mourut pour des opinions à l’âge où d’habitude on ignore qu’elles existent ; Francœur, ce fou guerrier qui se précipitait au combat comme on va à une fête, orné de bouquets et de rubans ; Jambe-d’Argent, le Cid de la chouannerie ; enfin M. Jacques, merveilleuse apparition qui traversa la lutte sans laisser le secret de son histoire ni de son nom. Va-de-bon-Coeur parlait pour eux tous ; il imitait leur voix, il prenait leurs passions, il racontait leurs pensées.

Cette saisissante exhibition dura toute la soirée et une partie de la nuit. J’écoutais et je tâchais de noter dans ma mémoire chaque trait caractéristique. Enfin la lassitude arrêta le conteur, et je pus écrire ce que j’avais retenu. Le récit qu’on va lire est le résultat de ces documens, éclaircis et complétés, dans quelques parties, par les recherches déjà publiées sur cette curieuse époque. Toutes les fois que nous l’avons pu, nous avons conservé les expressions du vieux rebelle comme un rayon de soleil du pays et une modulation de son langage.


III.

Jean Cottereau avait bien trois frères, ainsi que le meunier me l’avait dit. Pierre, l’aîné, fut le seul qui se fit sabotier comme son père. C’était un cœur simple, timide et plutôt né, selon le jugement de Va-de-bon-Coeur,