Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/1085

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le mouvement slovaque, qui n’opposait aux Magyares que deux millions d’adversaires en Hongrie, appuyés par six millions de Tchèques, n’eût point été cependant pour le magyarisme un sujet d’alarmes, si un mouvement semblable et plus prononcé n’eût éclaté bientôt sur un sol plus libre, à l’ombre tutélaire de la constitution hongroise elle-même. Les Croates, qui, loin de se reconnaître pour serfs des Magyares, ont toujours prétendu au titre de royaume-annexé, répondirent aux sommations du magyarisme en invoquant les souvenirs de la nationalité illyrienne et en l’abritant derrière leurs privilèges municipaux et leur diète locale. Sous le nom d’Illyriens et avec des hommes doués de sens pratique et d’éloquence, ils commencèrent une agitation qui s’étendit d’abord modestement à la Croatie et à la Slavonie, puis hors du royaume, à la Dalmatie, à la Carinthie, à la Carniole, à la Styrie, puis enfin, par-delà l’Autriche, à ce monde slave de la Turquie d’Europe, à ces peuples de pasteurs et de guerriers restés jeunes à travers les vicissitudes des temps, mais fatigués enfin de cette immobilité séculaire, et sympathiques à tout ce qui est renouvellement des traditions, développement de l’idée de race. L’illyrisme, qui avait des tribunes assurées dans les divers comitats de la Croatie et de la Slavonie, et plusieurs voix dans les deux chambres de la diète hongroise, eut aussi et promptement des journaux littéraires et politiques à Agram, à Laybach, à Zara, à Belgrade, à Pesth même, au cœur des pays magyares. Plus libres que les Slovaques et les Bohèmes, les Illyriens étaient plus hardis, sans cesser d’être prudens. Ils se posaient, non-seulement à Agram, mais quelquefois aussi à Belgrade, en Servie, et jusque chez les catholiques bosniaques, comme les meilleurs amis de l’Autriche. Ils voulaient simplement, disaient-ils, fermer au magyarisme les frontières de la Croatie et de la Slavonie. Dans les momens d’exaltation, ils se contentaient, pour toute violence, d’opprimer, par manière de représailles, le petit nombre de Magyares dispersés en Croatie, et tout au plus demandaient-ils, par l’organe de Louis Gaj, le rappel de l’union. L’Autriche n’y découvrait point de mal immédiat pour elle-même, et, ne pouvant guère empêcher un mouvement politique qui résultait de la nature des choses, elle ne chercha qu’à le retenir dans les limites d’une querelle littéraire et municipale, bien qu’il dût promptement franchir ces faibles barrières. L’illyrisme comptait deux millions d’aines en Croatie, en Slavonie, en Dalmatie, trois millions dans les autres provinces de l’empire, et dix millions en Turquie.

Une émulation fraternelle et une sympathie pleine d’encouragemens réciproques s’étaient rapidement établies entre les Slovaques et les Croates, les uns et les autres enfans de la grande famille slave ; les Valaques de la Hongrie orientale et de la Transylvanie, issus d’une race différente, instinctivement hostile aux Slaves, durent puiser dans leurs propres nécessités politiques leurs résolutions et tous leurs moyens d’opposition au magyarisme. Ils n’avaient à leur service ni un homme sensé et populaire comme M. Gaj, ni même un poète de la valeur de Kollar, bien que la littérature roumaine eût fleuri en Transylvanie au commencement de ce siècle. Des savans, des grammairiens, honnêtes patriotes, mais peu