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à la politique dans cette première période de la Restauration. Une Chanson de lui, pleine de sentiment, intitulée le Retour ou le mois de juin 1820, nous le montrerait abandonnant, abjurant à cette heure une querelle qu’il jugeait désespérée, et se retournant vers des dieux plus indulgens

Je le sens trop, les jours de mon jeune âge
A de faux dieux étaient sacrifiés ;
Deux ans d’erreur m’ont enfin rendu sage,
Et la raison me ramène à tes pieds.


Mais c’est dans la littérature que nous devons suivre seulement et saluer son retour.

Un mot pourtant encore, avant de prendre congé avec lui de cette première époque. M. de Rémusat a beaucoup de projets pour l’avenir ; de ce nombre il en est un très simple, très facile à réaliser, et qui mérite bien d’occuper sa plume quelque matin : c’est de tracer un portrait de M. de Serre, de cette figure si élevée, si intéressante, de cet orateur à la voix noble et pure, et qui, même lorsqu’il se trompait, ne cédait qu’à des illusions généreuses. En revenant sur un sujet si bien connu de lui, M. de Rémusat retrouverait ses jeunes impressions, ses premières flammes, et il les saurait tempérer de cette lumière plus adoucie qui naît de la perspective. Ce serait une occasion heureuse de résumer et de concentrer autour d’une figure brillante tant de souvenirs personnels devenus si tôt de l’histoire[1].

Même en 1819, et dans le moment où il se livrait le plus à l’entraînement politique, M. de Rémusat n’avait pas tout-à-fait laissé la littérature. C’est en cette année que fut fondé le Lycée, où Charles Loyson et M. Villemain l’appelèrent. Les opinions exprimées dans ce recueil étaient en général classiques, mais modérées, ouvertes, conciliantes ; elles avaient une couleur de centre droit littéraire. M. de Rémusat y forma une sorte de côté gauche. Les deux articles qu’il a recueillis dans ses Mélanges (sur Jacopo Ortis et sur la Révolution du théâtre)[2] nous le montrent, dès l’entrée, critique aguerri et résolu novateur. Les pages dans lesquelles il compare ensemble Werther et René, à l’occasion

  1. M. Royer-Collard me fit l’honneur une fois de me parler de M. de Serre, son ami, « le seul homme, disait-il, avec qui il ait vécu durant des années en intimité et en communication parfaite, profonde. Camille Jordan n’était pas un esprit aussi sérieux, c’était plutôt un homme charmant et du monde. Mais M. de Serre ! sérieux, imagination, éloquence, il avait tout ; il y joignait seulement la faculté de se faire des illusions. C’est ce qui l’a perdu à la fin. Il a cru sincèrement qu’il allait sauver la monarchie, et il a rompu avec ses antécédens. — Il s’étonnait que je ne le suivisse pas, ajoutait M. Roger Collard : moi, lui ai-je dit, je ne suis pas, je reste. Mais je ne lui en ai jamais voulu. Il y avait entre nous de l’ineffaçable. »
  2. J’en note un troisième, qui n’a pas été recueilli, sur les Œuvres de madame de Staël (Lycée, tome III, p. 156).