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Ils se font une loi de la vengeance ; toute injustice doit être punie ; le pardon dégrade celui qui le subit.

On s’élève chez eux non par l’humilité, mais par la science ; il faut se rendre le plus possible semblable à Dieu.

La prière n’est pas obligatoire ; elle n’est d’aucun secours pour racheter une faute.

C’est à l’homme de réparer le mal qu’il a fait, non qu’il ait mal agi peut-être, mais parce que le mal par la force des choses retomberait un jour sur lui.

L’institution des akkals a quelque chose de celle des lettrés de la Chine. Les nobles (schérifs) sont obligés de subir les épreuves de l’initiation ; les paysans (salems) deviennent leurs égaux ou leurs supérieurs s’ils les atteignent ou les surpassent par cette voie. Le cheik Eschérazy était un de ces derniers.

Je lui ai présenté l’esclave en lui disant : — Voici la servante de ta fille. Il l’a regardée avec intérêt, l’a trouvée belle, et depuis ce temps-là les deux femmes restent ensemble.

Nous sommes partis de Beit-Eddin tous quatre sur des mulets ; nous avons traversé la plaine de Bekàa, l’ancienne Syrie creuse, et, après avoir gagné Zaklé, nous sommes arrivés à Balbek dans l’Anti-Liban. J’ai rêvé quelques heures au milieu de ces magnifiques ruines, qu’on ne peut plus dépeindre après Volney et Lamartine. Nous avons gagné bientôt la chaîne montueuse qui avoisine le Hauran. C’est là que nous nous sommes arrêtés dans un village où se cultivent la vigne et le mûrier, à une journée de Damas. Le cheik m’a conduit à son humble maison, dont le toit plat est traversé et soutenu par un acacia (l’arbre d’Hiram). À de certaines heures, cette maison s’emplit d’enfans : c’est une école. Tel est le plus beau titre de la demeure d’un akkal.

Tu comprends que je n’ai pas à te décrire ce qui se passe entre moi et ma fiancée. En Orient, les femmes vivent ensemble et les hommes ensemble, à moins de cas particuliers. Seulement cette aimable personne m’a donné une tulipe rouge et a planté dans le jardin un petit acacia qui doit croître avec nos amours. C’est un usage du pays.

Et maintenant j’étudie pour arriver à la dignité de réfik (compagnon), où j’espère atteindre dans peu. Le mariage est fixé pour cette époque.

Je fais de temps en temps une excursion à Balbek. J’y ai rencontré, chez l’évêque maronite, le père Planchet, qui se trouvait en tournée. Il n’a pas trop blâmé ma résolution, mais il m’a dit que mon mariage n’en serait pas un. — Élevé dans des idées philosophiques, je me préoccupe fort peu de cette opinion d’un jésuite. Pourtant n’y aurait-il pas moyen d’amener dans le Liban la mode des mariages mixtes ? J’y réfléchirai.


Gérard de Nerval.