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au parti du progrès, n’a point été dupe de ces vaines clameurs, et, si des mains criminelles ont depuis cette époque abusé de l’éthérisation, elle a, en flétrissant le coupable, laissé aux hommes de science et de cœur la faculté de ménager à leurs semblables un des soulagemens les plus grands qu’il soit donné d’imaginer.

Long-temps avant notre époque, des tentatives avaient été faites pour soustraire les patiens aux affreuses et inutiles tortures des opérations chirurgicales. On savait que le froid, en émoussant la sensibilité, suspend les vives douleurs qui succèdent à l’entorse. La propriété anesthésiante[1] du froid était encore prouvée par l’histoire du capitaine Ross, qui, pendant son retour d’une excursion avec les Esquimaux, eut la joue gelée par un coup de vent reçu à l’improviste et parti de l’angle d’une vallée, sans qu’aucun sentiment pénible l’avertit de cet accident. Que de fois n’avait-on pas employé un lien autour d’un membre pour comprimer les nerfs qui allaient aux parties dont on devait faire le sacrifice ? Deneux avait reçu à l’hôpital d’Amiens une femme du peuple qui, prise des douleurs de l’enfantement au milieu d’une ébriété complète, fut délivrée sans souffrir, et « qui se félicita d’avoir trouvé un moyen aussi heureux, se promettant bien de s’en servir à la première occasion. » M. Blandin avait pratiqué à l’hôpital Beaujeon une amputation de la cuisse sur un homme ivre-mort, qui n’eut pas conscience de l’opération, et Richerand avait conseillé l’ivresse alcoolique pour obtenir le relâchement des masses musculaires qui luttent contre les forces de traction exercées sur les membres démis. Des substances narcotiques et opiacées, aussi infidèles et aussi dangereuses que les alcooliques, ont été tour à tour essayées et abandonnées. Il paraîtrait même que certaines personnes dont l’esprit n’était point préoccupé ont pu tomber dans le sommeil magnétique et subir une opération sans souffrir. Que dire des tentatives de M. Wells de Hartford, qui faisait respirer à ses malades, pour les assoupir, ce gaz qui a la propriété de provoquer un rire insolite, une gaieté extraordinaire, et que, pour cette raison, on désigne vulgairement sous le nom de gaz hilariant, quoiqu’il ait causé quelquefois des vertiges, des maux de tête et la syncope ? Ces tentatives ont été complètement infructueuses. C’est donc à M. Jackson que revient la gloire d’avoir le premier trouvé un procédé facile qui permit de généraliser l’anesthésie dans la pratique de l’art de guérir.

Pendant que la découverte américaine agitait vivement les esprits en France, le mouvement se communiquait en Allemagne, en Russie, en Suisse et en Italie. Chirurgiens et physiologistes, cherchant à éteindre la douleur, posaient les règles de l’éthérisation, et étudiaient les phénomènes que les inhalations anesthésiantes produisent sur les sens et l’intelligence. Pirogow imaginait d’éteindre la sensibilité en introduisant les vapeurs d’éther dans le rectum, tandis que le successeur de Scarpa, M. Porta, et M. Buffini de Milan, démontraient que l’air qui ne contient que des vapeurs dissoutes n’excite pas la muqueuse des voies aériennes et produit sans accident une complète insensibilité. Les expériences sur les animaux permirent aussi d’observer l’action de ce précieux agent sur les centres nerveux, et cette étude, venant à l’appui des vivisections que M. Flourens avait déjà faites, permit à ce savant de poser la théorie physiologique de l’éthérisation.

Cette théorie est facile à saisir. Les centres nerveux se composent de quatre parties bien distinctes par le siége qu’elles occupent, la forme, le volume qu’elles

  1. C’est-à-dire : qui détruit la sensibilité.