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REVUE. — CHRONIQUE.

présentent, et la spécialité des fonctions auxquelles elles président. La première, dont la masse l’emporte sur celle des trois autres réunies, est le cerveau, siége exclusif, condition indispensable des phénomènes intellectuels et moraux, ainsi que déjà l’avait écrit Platon ; la seconde, le cervelet, renferme le principe d’une force dont nous devons la connaissance à M. Flourens, force d’équilibration qui coordonne les mouvemens ; la troisième, intermédiaire et lien des deux précédentes, est connue sous le nom de moelle allongée : c’est en elle que réside le principe même de la vie ; la quatrième, enfin, qui se détache de la moelle allongée sous la forme d’un long cordon cylindrique, est la moelle épinière, qui renferme les principes du sentiment et du mouvement. Les vapeurs d’éther, absorbées et entraînées par le torrent circulatoire, arrivent sur chacune de ces parties et les impressionnent à divers degrés. L’étourdissement, les rêves, l’extase, se rapportent à l’éthérisation du cerveau. Bientôt les membres sont agités de mouvemens convulsifs ; les animaux deviennent titubans, tombent quelquefois dans un état comme tétanique : voilà les phénomènes qui traduisent la nouvelle modification du cervelet ; mais, dans ces deux états, l’animal respire, est sensible, se meut : il vit encore. Prolongez l’expérience, la moelle épinière est bientôt impressionnée à son tour ; aussitôt la sensibilité s’émousse, et, après quelques inspirations nouvelles, elle disparaît. C’est pendant ce sommeil, au milieu des rêves que peut enfanter une imagination en délire, que le couteau du chirurgien traverse les tissus sans causer de douleur. Des observations recueillies sur l’homme prouvent qu’un reste d’intelligence subsiste jusque dans l’état le plus complet d’éthérisation. Quelques patiens se rappellent toutes les circonstances qui ont accompagné l’opération cruelle qu’ils ont subie ; mais ils n’ont pas souffert, et, au réveil, ils s’étonnent que les manœuvres opératoires soient achevées. Dans un dernier degré d’éthérisation de la moelle épinière, le principe des mouvemens disparaît à son tour, et toutes les parties du corps tombent comme une masse inerte, obéissant aux lois de la pesanteur. La sensibilité est abolie avant que le principe des mouvemens soit éteint. Quand on injecte l’éther dans les vaisseaux, c’est le principe moteur qui est anéanti le premier.

À cette période, l’action de la moelle allongée n’est pas encore altérée : comme elle est en quelque sorte le nœud vital, l’animal soumis à l’expérience vit encore, quoique le cerveau, le cervelet et les autres parties des centres nerveux aient graduellement perdu leur action ; mais, dès que l’éthérisation de la moelle allongée est accomplie, la vie s’éteint. L’auteur du célèbre traité sur la vie et la mort étudiait la mort générale graduellement déterminée par celle du cœur, puis par celle des organes de la respiration, et enfin par celle du cerveau ; mais, selon l’expression de M. Flourens, ces morts partielles admises par Bichat ne sont, pour ainsi dire, que l’extérieur de la mort.

Ce fut pendant ces recherches que le célèbre académicien se demanda si les autres variétés d’éther n’auraient pas les mêmes propriétés que l’éther sulfurique. Après avoir expérimenté sur chacune de ces variétés, il fut naturellement conduit à essayer d’un composé nouveau, le chloroforme, qui, au bout de quelques minutes (de six dans une première expérience, de quatre dans une seconde et dans une troisième), éthérisa l’animal. C’est donc à M. Flourens qu’appartient l’honneur d’avoir le premier constaté les propriétés anesthésiques du chloroforme, mais c’est au docteur Simpson d’Édimbourg que sont dues les premières