Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/130

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur concours à Campiniano[1]. A la vérité, sur tous les points où se développait ainsi le mouvement roumain, la censure était là pour le rappeler à la modération et à la réserve ; mais, sans en sortir, il possédait encore les moyens de pénétrer jusqu’aux entrailles du pays. S’il était interdit à la poésie de prendre au vif les choses contemporaines, elle pouvait tout à son aise disposer du passé pour l’instruction du présent ; elle pouvait s’entretenir de patriotisme avec ces morts glorieux du moyen-âge que le peuple roumain connaît à peu près tous par leurs noms, et dont le langage imité ou les actes racontés réchauffaient son imagination. La littérature roumaine savait d’ailleurs emprunter le langage de l’apologue et de la légende. Elle se révélait aux paysans par des chansons et des fables qu’on se transmettait de vive voix, ainsi que les anciens poèmes, par les procédés ordinaires de la tradition orale.

Cependant le prince de Valachie restait attaché à sa pensée première de gouverner seul et par lui-même, et il crut avoir réussi à se débarrasser de ce contrôle et de ce concours qui le gênaient, en faisant dissoudre l’assemblée par les hautes cours à propos d’un incident où la suzeraineté et le protectorat étaient en cause et se voyaient contester leurs prétentions à la sanction des lois. Le patriotisme des jeunes Valaques n’en devint que plus inquiet et plus ardent, et les vieux Valaques redoublèrent d’activité et de finesse diplomatiques. Ils avaient deux visages : l’un, tourné du côté du pays, souriait avec affabilité au roumanisme qui se laissait séduire ; l’autre, tourné du côté des Russes, portait l’empreinte d’un respect profond et d’une soumission parfaite qui produisaient leur effet. Vainement quelques hommes impartiaux, qui avaient démêlé les intentions suspectes des vieux Valaques et qui voyaient dans la stabilité du pouvoir un intérêt de premier ordre, essayaient-ils de

  1. Parmi les écrivains moldaves de cette époque, on doit citer en première ligne Negruci, auteur d’un épisode épique sur le héros des Moldaves Étienne-le-Grand, et de nouvelles qui ont quelque chose de la vivacité et de la liberté des fabliaux. Un jeune savant, M. Kogalniceno, qui était alors secrétaire du prince Stourdza, a aussi publié des chroniques moldo-valaques dont il a donné un extrait en français ; on lui doit encore une histoire de la Moldavie et de la Valachie écrite en français. Les Moldaves ont eu quelques poètes lyriques, parmi lesquels nous nommerons Sion et Alexandri, qui fait revivre les poésies populaires avec un rare bonheur et une grande originalité. En Valachie, M. Eliade s’est distingué par des odes et des chansons patriotiques et aussi par des travaux de linguistique et des traductions de Voltaire et de Lamartine. De gracieux essais de lyrisme sont dus à MM. Kirlova, Alexandresco, Boliaco, Rosetti, Bolintineano. Les chroniques nationales ont aussi été explorées par MM. Laurianu et Balcesco, qui y a puisé le sujet d’une histoire militaire des principautés et les matériaux d’une publication savante, le Magasin historique. Depuis 1829, les journaux politiques ou littéraires sont assez nombreux en Moldo-Valachie, bien qu’ils ne soient pas assez libres. Il existe aussi des feuilles spéciales de beaux-arts, de médecine, de commerce, et une feuille d’agriculture que les prêtres sont tenus de lire aux paysans le dimanche après l’office.