jamais une situation légale. Les partis semblent avoir fixé d’un commun accord les conditions du combat : le parti vaincu se résigne et sait attendre une occasion meilleure. Il souscrit d’autant plus volontiers aux conséquences de sa défaite, qu’il compte bien remporter la victoire à son tour et en jouir paisiblement. Tous comprennent qu’il n’y a qu’un terrain solide pour tout le monde : la légalité. Ils savent que ceux qui commencent les révolutions ne les achèvent jamais, que le torrent qui a rompu ses digues emporte tout sans choisir, que le libérateur de la veille est traité comme un tyran le lendemain, et qu’au bout de ces catastrophes il n’y a qu’anarchie et impuissance.
Je le dis à regret : le sentiment de la légalité est affaibli en France ; on raisonne trop avec la loi. Le gouvernement n’en est pas suffisamment esclave. Les tribunaux eux-mêmes, qui devraient être la loi vivante, se permettent quelquefois de l’interpréter au lieu de l’appliquer avec sa fatalité inexorable. Le pouvoir compte sur la mansuétude des chambres ; les tribunaux croient être quittes envers tout le monde, quand ils ont jugé selon l’équité, ou qu’ils ont servi la vindicte publique.
Je me permets d’autant plus d’adresser à notre magistrature ce reproche, dont il sera facile de saisir le sens et de limiter la portée, que j’ai une certaine fierté à proclamer que la justice française est la moins rétribuée et la plus incorruptible de l’Europe.
Je ne veux point citer d’exemples récens. — Je le pourrais. Mauvais exemples, regrettables abus, quand ils partent de si haut, parce qu’ils diminuent le respect du peuple pour la loi !
Il est évident que l’éducation politique du pays n’est pas encore faite. Il n’est pas encore assez fier de s’administrer lui-même à tous les degrés. Il ne se rend pas bien compte de ce gouvernement des majorités, depuis le conseil d’arrondissement jusqu’au conseil des ministres. Il oublie quelquefois qu’il n’est gouverné que par un parti qu’un déplacement de quelques voix peut renverser ; il rêve qu’il est encore sous le régime du bon plaisir. Il se figure qu’il est soumis aux caprices des favoris, tandis qu’il n’obéit qu’à la loi. Il y a des mots auxquels il donne encore de vieilles significations usées que le bon sens moderne n’a pu parvenir à effacer. Être ministériel, à ses yeux, c’est flatter servilement le pouvoir, abdiquer toute indépendance de caractère, ne songer qu’à ses intérêts ; être patriote, être national, c’est blâmer le gouvernement, quoi qu’il fasse, c’est vouloir envahir l’Europe, et accuser de trahison et de lâcheté le ministère qui professe un culte pour la paix.
Étrange abus des mots auxquels trop de gens se laissent encore prendre !
Dans la chambre même, de quels mots a-t-on plus abusé que des mots : gouvernement personnel, gouvernement parlementaire ? — Cependant