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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/189

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les causes du mal ; c’est d’elles surtout qu’on peut dire : À quoi servent les lois sans les mœurs ? Aussi long-temps que le peuple d’Irlande sera élevé et nourri dans la croyance que le meurtre n’est pas un crime, mais seulement une vengeance légitime, l’Angleterre aura beau faire des lois, elle n’arrêtera point le cours de cette terrible justice populaire.

Outre cette grande difficulté, qui est commune à tous les ministères et à tous les partis qui se succèdent en Angleterre, le ministère de lord John Russell s’est trouvé et se trouve encore en présence de plusieurs questions dont la gravité ne fera qu’augmenter. En première ligne, nous placerons un dissentiment très sérieux qui s’est élevé entre l’état et l’église à propos d’une nomination faite par la couronne à un évêché devenu vacant. Lord John Russell, en cette occasion, est allé de gaieté de cœur chercher une mauvaise querelle où il pourra bien se brûler les doigts. Dans un pays aussi porté que l’Angleterre à la controverse religieuse, on ne soulève pas impunément de pareils conflits. On se souvient, ou on ne se souvient pas qu’il y a une dizaine d’années, un certain docteur Hampden, professeur à l’université d’Oxford, avait été censuré et suspendu par un décret de cette même université comme convaincu de rationalisme et comme enseignant des doctrines contraires à celles de l’église anglicane. Le docteur Hampden avait été depuis lors rétabli dans ses fonctions et commençait à être oublié, lorsque tout dernièrement lord John Russell a eu, on ne saurait dire pourquoi, l’idée de le nommer à l’évêché d’Hereford. Cette nomination, au moins imprudente, a produit un soulèvement général dans l’église d’Angleterre. Quinze évêques ont présenté au premier ministre une remontrance et une protestation contre l’usage, ou, pour mieux dire, l’abus qu’il faisait de la prérogative royale ; mais lord John Russell, avec son entêtement habituel, a tenu bon et a répondu aux évêques en envoyant au chapitre d’Hereford le congé d’élire ou ordonnance de nomination. Il faut savoir qu’il y a dans l’église anglaise un simulacre, nous pourrions dire une parodie du système électif. Ainsi le premier ministre, au nom de la couronne, recommande au chapitre de l’évêché vacant l’élection de telle ou telle personne ; mais, si le chapitre s’avise de ne pas élire le candidat qui lui est désigné, la couronne, après un délai de douze jours, passe outre et nomme son candidat de sa propre autorité. C’est ce que vient de faire lord John Russell pour le docteur Hampden. La couronne, en Angleterre, réunissant à la fois le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, lord John Russell devait l’emporter dans cette lutte ; il reste à savoir s’il a agi prudemment en usant ainsi de la prérogative royale et en jetant dans le clergé des semences de mécontentement qui pourront un jour germer en insurrection. C’est une affaire plus sérieuse qu’on ne le croit peut-être, et il ne se passera pas beaucoup d’années avant qu’on en voie les suites.

Le parti qui, dans l’église anglaise, combattait la nomination du docteur Hampden, n’est point le même qui a également combattu le bill présenté par lord John Russell pour l’entière émancipation politique des juifs. En général, la jeune église est plus libérale que la vieille ; l’une et l’autre ont été, dans cette occasion, parfaitement personnifiées dans leurs représentans laïques à la chambre des communes, M. Gladstone et sir Robert Inglis. La vieille intolérance religieuse a trouvé dans sir Robert Inglis son organe accoutumé : il a repoussé