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à elle-même tout récemment dans un acte public, et qu’elle en avait gratifié, sur les fonts baptismaux, la fille d’un bourgeois de Paris, au grand embarras du curé, qui n’avait su comment l’écrire. Le 29 novembre 1661, avait été baptisée et nommée Jeanne-Madeleine Gresaindre une fille de Marin Prévost et d’Anne Brillard. Le parrain était Jean-Baptiste Poquelin, valet de chambre du roi, c’est-à-dire Molière ; la marraine Madeleine Gresaindre Béjart, fille majeure.

Nous venons de voir Jean-Baptiste Poquelin, ou Molière, se déclarer, à la fin de 1661, valet de chambre du roi (on a omis le mot tapissier), et ceci nous met sur la voie d’une explication dont nous étions depuis long-temps en peine. Il ne nous semblait pas possible que le fils aîné de Jean Poquelin, survivancier de la charge de son père, se fût absenté de Paris douze ans de suite, eût mené tout ce temps la vie aventureuse de comédien de campagne, emportant avec lui, comme une pièce de son bagage, ce bien de famille qu’on lui avait assuré, ce titre dont il pouvait être appelé, par la mort de son père, à prendre l’emploi. Il nous paraissait que c’eût été mettre à trop grand hasard une chose qui avait son prix, et qu’enfin il existait quelque incompatibilité entre l’existence précaire qu’il avait choisie et cet avenir certain qui l’attendait. Aussi avons-nous été moins surpris que satisfait en apprenant, non pas, bien entendu, chez les biographes, qu’il avait été pris dans sa famille, et sans doute avec son consentement, des sûretés pour cette survivance. Jean-Baptiste avait un frère nommé Jean, né en 1624, le troisième fils du mariage de ses père et mère. Ce fut sur la tête de celui-ci qu’on fit reposer l’espérance à laquelle l’aîné semblait renoncer. Nous ne savons pas précisément à quelle époque cette mutation s’opéra ; mais il est certain qu’en 1657, Jean Poquelin le jeune, fils de l’autre Jean, s’intitulait, en même temps que son père, « tapissier valet de chambre ordinaire du roi. » Ce Jean Poquelin le jeune demeurait sous les piliers des Halles, et mourut le 6 avril 1660, laissant sa femme, Marie Maillart, enceinte d’une fille qui fut baptisée, le 4 septembre suivant, comme née de « défunt Jean Poquelin, vivant tapissier valet de chambre du roi. » Or, c’était justement le temps où Molière venait de s’établir à Paris, où il avait l’assurance d’y rester désormais, où il gagnait l’affection du roi. Il paraît qu’alors il réclama son droit, qu’on lui permit de reprendre, après la mort de son frère, l’expectative dont il avait été autrefois nanti, que la bonté du roi rendit cette seconde substitution facile, si bien qu’en 1661 il se retrouva ce qu’il était en 1637. Et, en effet, l’État de la France, publié en 1663, nous montre, au nombre des huit tapissiers valets de chambre, pour le trimestre de janvier, « M. Poquelin et son fils à survivance. »

Le mariage de Molière eut lieu, comme nous avons dit, publiquement, en présence de son père et de son beau-frère, des mère, frère et sœur, ou se disant tels, de sa femme, le lundi gras 20 février 1662, ce qui fait tomber un conte absurde de Grimarest. L’alliance n’était pas brillante, elle n’élevait en rien la condition de Molière ; elle mettait seulement une femme de plus dans sa maison, où il semble qu’il n’y en avait déjà que trop ; mais, ce qu’il y a de meilleur pour un homme occupé, elle ne changeait pas ses habitudes. Du printemps et de l’été qui suivirent, tout ce qu’on sait, c’est que la troupe alla passer « quelques semaines » à Saint-Germain, où le roi faisait son séjour, et Loret, qui nous apprend (13 août) son retour à Paris, dit que les acteurs et actrices, au nombre de quinze, reçurent chacun cent pistoles de récompense. Nous lisons bien, dans