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après avoir indiqué ce que Molière avait pu terminer de son ouvrage, ajoute naïvement : « M. Corneille a employé une quinzaine au reste. » Quant aux vers faits pour être chantés, un seul ouvrier, Quinault, y avait mis la main. Ce qu’il faut encore remarquer, c’est que Molière acteur (il jouait Zéphire) avait eu le soin d’écrire tout son rôle, et n’eut à réciter sur le théâtre que ce qui était de lui.

Peu de temps après ce carnaval (du 2 au 10 février 1671), qui finit tristement par la retraite de Mlle de La Vallière à Chaillot, le roi partit (avril) pour aller visiter ses places de Flandre, et Molière n’eut à servir que le public ; il lui donna (24 mai) les Fourberies de Scapin. Pour défendre Molière du reproche que lui adresse Boileau, on a souvent allégué la nécessité où il était de plaire aux plus humbles spectateurs par des farces, et l’on a oublié que, sauf les Fourberies de Scapin et le Médecin malgré lui, toutes ses pièces bouffonnes ont été faites pour la cour, tandis que toutes ses comédies sérieuses ont été offertes d’abord au public, ce qui déplace entièrement le blâme et l’excuse. Au mois de décembre suivant, la cour avait un mariage à célébrer : on lui avait amené, des bords du Rhin, cette princesse tout allemande qui ne craignit pas d’épouser l’indigne mari devenu veuf, Dieu sait comment ! de l’aimable Henriette d’Angleterre. Le roi voulut que Molière ramassât, dans un divertissement, les plus beaux endroits des ballets déjà représentés, en y ajustant une petite comédie et une pastorale qu’il ferait exprès. La pastorale s’est perdue ; les intermèdes sont retournés aux ballets d’où ils avaient été pris, et il nous est resté la comédie qui servait de lien à toutes ces parties, la Comtesse d’Escarbagnas.

Mais pendant que nous recueillons soigneusement tout ce qui se rapporte à Jean-Baptiste Poquelin de Molière, dans le temps où ce nom de Molière a toute sa célébrité, lorsque personne assurément ne peut se méprendre sur la personne qu’il désigne, voilà que le hasard fait reparaître à nos yeux l’autre Molière, celui qui chantait et dansait en 1656, quand son homonyme, si glorieux maintenant, courait obscurément la province. Nous recommandons ceci aux savans hasardeux qui ont voulu faire de l’auteur et du musicien un seul homme. Le 7 janvier 1672, une pièce héroïque fut jouée sur le théâtre du Marais, avec des machines, des ballets et des airs. Elle avait pour titre : le ! Mariage de Bacchus et d’Ariane. Les paroles étaient du sieur de Visé, la musique du sieur de Molière, et c’est ce que nous apprend le même de Visé, auteur dramatique et journaliste, en louant sa pièce dans son Mercure galant. « Les chansons en ont paru fort agréables, et les airs en sont faits par ce fameux M. de Molière, dont le mérite est si connu et qui a travaillé tant d’années aux airs des ballets du roi. » Ainsi, de 1656 à 1672, le musicien, autrefois recherché à la cour, s’était vu décheoir au point de ne plus trouver d’emploi que sur un théâtre subalterne ; Lulli, après Lambert, avait pris sa place. Pour cette fois, nous ne pouvons refuser un peu de biographie à la mémoire de cet homme qui avait eu ses jours de réputation. Son véritable nom était Louis de Mollier. En 1642, il était gentilhomme servant ou écuyer de la comtesse de Soissons, mère du comte tué à la Marfée. A cette époque, il se maria, et, deux ans après, il eut une fille nommée Marie-Blanche. La mort de la comtesse de Soissons (1644) l’ayant obligé à prendre service ailleurs, il usa de ses talens pour se faire connaître à la cour, où il eut le titre de « musicien ordinaire de la chambre du roi. » En 1664, il maria sa fille au sieur Ytier, musicien