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comme lui et ayant même emploi dans la maison royale. Il mourut à Paris le 18 avril 1688.

Il semble qu’à ce moment où il avait pleine liberté de tout dire, l’autre Molière, celui qui ne faisait pas de musique et qui est demeuré « le fameux, » jeta un regard en arrière pour voir si, parmi les ridicules qui avaient ému sa bile, il ne s’en trouvait pas qu’il eût trop légèrement atteints. Tout au commencement de sa carrière, quand il était bien peu sûr de lui-même et du public, il avait tracé une ébauche des Précieuses. Il voulut reprendre ce sujet et le traiter en grand avec tous ses accessoires. Il y replaça ce personnage dont on s’inquiète toujours quand il est question d’un bel esprit en jupons, le mari ; il y fit entrer les travers particuliers des gens de lettres, hôtes ordinaires de ces ménages ; il fit plus, il y adapta la réhabilitation de l’homme de cour, ce qu’il pouvait faire sans bassesse après avoir tant de fois bafoué les marquis, et, dans cette vue, il composa les Femmes savantes, qu’il donna au public le 11 mars 1672. On a fait beaucoup de contes absurdes sur cette pièce ; la seule circonstance, malheureusement vraie, qui soit à noter, c’est que le personnage de Trissotin, qui ne s’appela jamais autrement, désignait, sans qu’on pût s’y tromper, un prêtre, un aumônier du roi, un vieillard, un académicien, Charles Cotin, l’auteur du madrigal et du sonnet si plaisamment commentés dans la deuxième scène du troisième acte. Si l’action, comme nous le croyons, était mauvaise, elle n’en prouve que davantage à quel degré, nous ne dirons plus de hardiesse, mais de puissance, Molière était parvenu. Du reste, il est faux que Cotin soit mort de ce coup, comme Voltaire s’est amusé à le dire ; mais, Cotin n’étant pas un homme dont on se soit fort soucié de recueillir la vie, personne n’a parlé d’une circonstance curieuse qui se rattache aux Femmes savantes. Quand cette comédie fut représentée, le chancelier Séguier venait de mourir (28 janvier), et laissait vacant un titre que le cardinal de Richelieu avait porté avant lui, celui de « protecteur de l’Académie française. » Le roi Louis XIV ne dédaigna pas de le prendre pour lui. L’Académie en avait reçu l’avis et avait décidé qu’elle se rendrait tout entière, conduite par l’archevêque de Paris, chez le roi, pour le remercier de l’honneur que sa majesté voulait bien lui faire. Cette démarche eut lieu peu de jours après le 11 mars ; un seul homme y manquait : c’était Charles Cotin, académicien depuis dix-sept ans, et qui n’avait pas voulu que sa présence dans cette compagnie l’obligeât à se plaindre de l’injure toute fraîche qu’il avait subie.

Ce fut là le dernier trait et aussi l’acte suprême du pouvoir exercé par Molière sous l’autorité du roi. Ce railleur terrible, qui arrachait le masque aux hypocrites, qui poursuivait sans pitié les médecins et qui décimait l’Académie, sentait chaque jour sa toux augmenter, son mal empirer, ses forces défaillir. On veut que dans ces derniers temps une réconciliation avec sa femme ait aggravé ses souffrances, et il est certain qu’il lui naquit, le 15 septembre 1672, un fils qui mourut presque aussitôt. Dans cette condition, il ne vit rien de plus plaisant à peindre que la folie d’un homme en bonne santé qui se croirait malade et soumettrait son corps bien portant à toutes les prescriptions de la médecine, c’est-à-dire la contrepartie exacte de son propre fait. C’était d’ailleurs à peu près le rôle que lui avait trop faussement attribué l’auteur d’Élomire hypocondre, et il allait montrer, aux dépens des médecins, ce que pouvait devenir dans ses mains la moquerie impuissante de leur vengeur. Il s’enivra, on peut le dire, de cette idée au point