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il voulut revoir cette douce et charmante victime de la fascination poétique. Une rencontre leur fut ménagée, à l’insu de mistress Shelley, sans doute par quelque belle nuit étoilée, sur les flots voluptueux qui baignent tour à tour Sorrente et Capri,-peut-être aussi sous les ombrages de Castellamare, dans ses vallées abritées du soleil, — et ce dut être un touchant récit que celui de la pèlerine d’amour, racontant ses voyages mystérieux, sa surveillance invisible. Peu de temps après cette entrevue, comme pour laisser à ce drame si simple toute sa grandeur, toute sa pureté, la mort vint le clore par un dénoûment providentiel. La belle inconnue disparut de ce monde, pour lequel certainement elle n’était pas faite, et où elle était sûre désormais de laisser un souvenir attendri.

On sait maintenant, à n’en pouvoir douter, que les stances écrites à Naples, au mois de décembre 1818, — elles portent l’empreinte d’une mélancolie profonde[1], — furent inspirées à Shelley par le trouble où le jetaient deux sentimens contradictoires : son affection pour mistress Shelley et sa reconnaissance presque passionnée pour la tendresse dont une autre femme l’entourait depuis si long-temps. Sommes-nous donc trop présomptueux en attribuant à cette dernière l’hommage respectueux et pénétré dont nous parlions tout à l’heure ?

À l’époque où ce souvenir nous reporte, la fortune, d’abord si sévère pour le poète, avait enfin cessé de le persécuter. La mort de son grand-père, et l’obscurité favorable d’une clause de substitution, qui pouvait fournir matière à de longs procès, amenèrent. le père de Shelley à modifier la rigueur de ses premières décisions. Une pension de huit cents livres sterling (20,000 fr.) assura l’indépendance du jeune ménage sur cette terre d’Italie, où Dieu n’a pas mis à haut prix le droit de vivre heureux, elle lui donnait tous les loisirs de l’esprit, toutes les joies de la bienfaisance.

En première ligne, parmi les plaisirs de Shelley, était la satisfaction de ce goût inné pour la navigation, qui lui avait déjà fait courir tant de dangers, et devait lui coûter la vie. Dès l’enfance, il avait manifesté cet instinct tout britannique, et passait des journées entières sur les étangs paternels. À Oxford, il lançait sur l’Isis des flottilles de papier. Un jour, à Londres, sur cette petite rivière qui serpente le long de Hyde-Park, on l’avait vu, à défaut de matériaux moins coûteux, fabriquer

  1.  :: The sun is warm, the sky is clear
    The waves are dancing fast and bright, etc.
    (Stanzas written in dejection.)
    Voir aussi les vers intitulés : Sur une violette flétrie.