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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/288

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puis sur l’éloignement de son amiral, chargé de reconduire le légat avec deux galères qui devaient être pendant vingt jours retenues entre Barcelone et Avignon[1]. D’ailleurs, il ne cessait de protester de sa fidélité et de promettre son contingent. Tout en annonçant à don Pèdre le prompt envoi d’une escadre pour combattre les Maures, il s’efforçait de se justifier auprès d’Abou-Saïd et l’assurait de sa neutralité. Un brave chevalier aragonais, Pedro d’Exerica, entraîné par l’enthousiasme religieux ou par l’amour de la gloire, venait de quitter Valence avec une troupe de volontaires pour combattre sous la bannière de Castille. Pierre IV s’empressa de le désavouer. Il n’était pas le maître, disait-il, d’empêcher ses vassaux de faire la guerre pour leur propre compte ; quant à lui, sa détermination était prise de ne point intervenir[2]. Ce double langage dura tant que la situation d’Abou-Saïd ne fut point désespérée ; alors il leva le masque, et fit partir Bernai de Cabrera et Pedro de Luna avec un fort détachement pour donner le coup de grace au vaincu.

L’usurpateur aurait peut-être prolongé sa résistance, s’il eût été soutenu par l’amour de son peuple. Mais les Grenadins amollis ne savaient qu’éclater en murmures ; ils l’accusaient d’avoir attiré sur leur pays une tempête qu’il n’était pas en état de détourner. On regrettait tout haut le roi Mohamed et l’heureuse tranquillité de son règne. Au-delà du détroit, les princes africains s’alarmaient également des progrès continuels des chrétiens, mais ils étaient impuissans à s’y opposer. Ils maudissaient la funeste ambition d’Abou-Saïd, qui allait peut-être faire perdre à l’islamisme son dernier boulevard en Espagne.


II.

Abhorré de ses sujets, abandonné par tous ses alliés, désespérant de continuer la guerre, Abou-Saïd ne vit plus qu’un seul moyen de désarmer don Pèdre. « Baise la main que tu ne peux couper, » dit un proverbe arabe. Il le prit pour guide. Accueillant Padilla prisonnier, non point en ennemi vaincu, mais comme un médiateur que le ciel lui envoyait, il le traita avec les plus grands égards, lui déclara qu’il était libre ainsi que ses compagnons, et finit par le conjurer d’intercéder en sa faveur. Gagné par ses caresses, séduit peut-être par ses présens, le maître de Calatrava lui promit de plaider sa cause auprès de don Pèdre, mais en l’avertissant que le meilleur moyen d’obtenir sa merci était la soumission la plus prompte et la plus complète. On dit que, touché par les bons procédés du Maure, il lui jura, selon l’usage du temps,

  1. Arch. gen. de Ar. Lettre de Pierre IV à don Pèdre. Barcelone, 25 octobre 1361. Même registre, p. 76.
  2. Zurita, t. II, p. 309.