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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/289

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d’être à l’avenir son ami et son frère[1], et que, s’abusant lui-même sur son crédit, il se fit fort d’obliger le roi de retirer sa protection à Mohamed. Quoi qu’il en soit, peu de jours après sa défaite, Padilla quitta Grenade avec les autres prisonniers chrétiens, renvoyés sans rançon comme lui, et se rendit aussitôt à Séville, publiant la générosité du Maure et son vif désir d’obtenir la paix.

Don Pèdre ne pardonnait pas facilement une défaite. Il reçut Padilla avec froideur et lui prouva bientôt que les liens du sang l’empêchaient seuls de le punir. Peu après, un écuyer, nommé Delgadillo, fut condamné à mort pour avoir rendu un donjon mal fortifié[2]. La guerre continua, et le roi dirigea lui-même plusieurs courses dans le royaume de Grenade.

A la suite d’une de ces expéditions, Abou-Saïd, cédant peut-être aux conseils de Padilla qu’il croyait tout-puissant à la cour de Castille, se détermina à venir lui-même implorer la clémence du roi et à la mériter par toutes les humiliations. Rassemblant ses trésors, il partit en secret de Grenade et, suivi de quatre ou cinq cents cavaliers seulement, se présenta aux avant-postes castillans. Il annonçait qu’il venait crier merci au roi et demanda qu’on le conduisît en sa présence. Don Pèdre était alors à Séville. Il reçut le prince musulman, assis sur son trône, dans tout l’appareil de sa puissance, entouré de sa cour et des chefs de son armée.

« Sire, dit le trucheman d’Abou-Saïd, mon maître sait que les rois de Grenade sont vassaux et tributaires des rois de Castille. C’est devant son suzerain que mon seigneur porte sa querelle contre Mohamed qui se dit roi de Grenade. A toi appartient de juger entre eux. Or, le sujet de leur querelle, c’est que les Maures, maltraités et foulés par ce Mohamed, ont élu pour leur seigneur Abou-Saïd, par sa naissance issu des rois et par ses vertus digne de l’être. Entre lui et Mohamed seul, le débat ne serait pas douteux ; mais le moyen de résister à ta puissance ? Ce serait d’ailleurs manquer au devoir de vassal. C’est pourquoi, sire, mon seigneur comparaît devant toi et s’en remet à ta justice, persuadé que ton arrêt fera voir ta magnanimité et la grandeur de ta couronne. » Pendant ce discours, un vieux Maure à barbe blanche, nommé Edris, et qui passait pour le meilleur conseiller d’Abou-Saïd, avait les yeux fixés sur don Pèdre et cherchait à lire sur son visage le sort qu’il réservait au vaincu. A peine l’interprète eut-il achevé qu’Edris s’écria : « Assurément la sentence du roi de Castille fera éclater sa clémence et son équité ; mais si, contre toute apparence, elle était favorable à Mohamed, mon maître Ahou-Saïd espère obtenir pour lui-même et sa suite la permission de passer la mer et d’aller vivre en Afrique dans une condition privée. »

  1. Rades. Cron. de Calat., p. 57.
  2. Ayala, p. 341.