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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/304

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Dauphin, régent pendant la captivité de son père. Nul homme n’eut à un plus haut degré que don Henri le talent de gagner la confiance de tout ce qui l’approchait. Arrivant en Aragon, proscrit et vaincu, il devint en un moment le favori de Pierre IV et l’instrument de tous ses projets. Il sut tirer de ce prince avare des subsides considérables, et, bien que maltraité par la fortune, il conserva toujours auprès de lui la position d’un souverain indépendant plutôt que celle d’un vassal à sa solde. Obligé de quitter l’Aragon, don Henri parvint, au bout de quelques mois de séjour en France, à s’attacher un grand nombre de capitaines d’aventure. Il n’avait pas eu de peine à rendre le nom de don Pèdre odieux à la cour de France ; mais ce qui était plus difficile, il avait réussi à se représenter lui-même comme son antagoniste le plus redoutable et comme le seul espoir de la Castille. Toutefois un obstacle inconnu, mais dont il n’est pas difficile de deviner la nature, l’empêcha de conduire alors en Espagne ces redoutables bandes qu’il se flattait d’armer contre don Pèdre. En ce moment, ni la France ni l’Aragon ne pouvaient lui fournir de subsides, et, sans argent, il était impossible de se faire suivre par les aventuriers[1]. Il ne put donc amener à Pierre IV que sa suite ordinaire de bannis castillans, et cependant, lorsqu’il reparut en Espagne, son exil semblait l’avoir grandi. Il n’était déjà plus comme autrefois un capitaine d’aventure ; il se présentait comme un souverain prédestiné à une couronne chancelante et qu’il s’apprêtait à saisir. En 1357, il était entré en Castille avec le titre de procurateur du roi d’Aragon, pour lui gagner des villes et des terres, aujourd’hui, il allait conquérir un royaume pour lui-même, et l’Aragonais se faisait son auxiliaire. Les rôles avaient changé : maintenant Pierre IV demandait un salaire à son ancien procurateur. Au commencement de l’année 1363, dès leur première entrevue, qui eut lieu à Monzon, ils s’engagèrent à détrôner don Pèdre à frais communs et à se partager la Castille. Voici leur traité, aussi remarquable par l’importance des stipulations que par l’absence de toutes les formes diplomatiques alors en usage

« Le roi d’Aragon : Nous vous promettons à vous, don Henri, comte de Trastamare, de vous aider à conquérir le royaume de Castille bien et réellement, à condition que vous nous donnerez, et serez tenu de nous livrer en franc et libre alleu, avec investiture royale, la sixième partie de tout ce que vous gagnerez au royaume de Castille, là où nous serons de notre personne, ou représenté par un de nos vassaux. Et tout de même que nous sommes tenu de vous aider à conquérir ledit royaume, ainsi serez-vous tenu vous-même de nous aider à l’encontre

  1. Le roi de France ne s’était engagé à lui donner qu’une solde de 10,000 livres par an, encore n’était-ce pas de l’argent comptant qu’on lui fournissait, mais on lui cédait des terres dont le revenu était censé équivaloir à 10,000 livres. Voir le traité déjà cité.