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de petites villes et de châteaux tombèrent au pouvoir des Castillans. Tarazona se rendit par capitulation ; Cariñena fut emportée d’assaut. Les chroniqueurs aragonais prétendent que le vainqueur souilla son triomphe par d’horribles cruautés. Suivant leur récit, don Pèdre, irrité de l’héroïque résistance des bourgeois de Cariñena, les aurait tous fait massacrer, réservant les principaux d’entre eux pour les faire périr de sang-froid dans d’épouvantables supplices[1].


IV.

Qu’on me permette d’abandonner pour un instant le récit monotone d’une guerre du moyen-âge, pour appeler l’attention du lecteur sur un monument curieux qui fait connaître quelques traits du caractère de don Pèdre. Je veux parler de son testament fait à Séville pendant l’hiver de 1362, tandis qu’il se préparait à recommencer la guerre où nous le laissons engagé. Cette pièce, qui se conserve encore en original, me paraît digne d’être analysée. Aucun autre document ne révèle mieux les vues et les desseins du prince dont je me suis proposé d’écrire la vie.

Après les formules religieuses consacrées alors pour de tels actes, le roi fixe le lieu de sa sépulture. Son tombeau doit être placé dans la chapelle neuve qu’il fait bâtir, à Séville. A sa droite doit reposer Marie de Padilla, qu’il appelle la reine sa femme ; à sa gauche don Alphonse son fils, qu’il nomme l’infant. Puis il règle l’ordre de la succession au trône. D’abord il y appelle Beatriz, sa fille aînée ; à son défaut, Constance, enfin Isabelle, toutes les trois filles de Marie de Padilla, et qualifiées d’infantes de Castille ; enfin un fils naturel, qui ne doit hériter de la couronne que dans le cas où les trois princesses mourraient sans postérité. Le nom de ce fils et celui de sa mère sont aujourd’hui un problème. Partout où ils sont mentionnés, on observe dans l’acte original les traces d’une altération évidente, des surcharges maladroites. Le parchemin gratté grossièrement, percé en quelques endroits, la couleur de l’encre, des lacunes, une orthographe sensiblement moderne, trahissent l’œuvre d’un faussaire inhabile. Aux noms tracés originairement, on a substitué ceux de don Juan, fils de doña Juana de Castro. Or, l’existence de ce fils est plus que problématique, aucun auteur contemporain n’ayant constaté sa naissance. Il n’est pas douteux que le testament n’ait été altéré assez long-temps après la mort du roi, et, suivant toute apparence, avec l’intention d’embellir quelque généalogie. M. Llaguno, excellent juge en ces matières, a cru reconnaître

  1. Cfr. Ayala, p. 366. — Zurita, t. II, p. 318. — Abarca, An. de Ar., attribue la prise de Cariñena à la mésintelligence entre l’infant don Fernand et don Henri, qui refusèrent de réunir leurs forces pour secourir la place.