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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/335

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et d’assauts continuels, les Castillans s’emparèrent de la ville ; mais rien n’était fait, tant que le château tenait encore. Il passait alors pour une des meilleures forteresses de l’Espagne, et son gouverneur, brave chevalier, riche-homme d’Aragon, nommé Martinez Eslaba, était résolu à s’y défendre jusqu’à la dernière extrémité. Tant qu’il put animer ses soldats par sa présence et son exemple, ils soutinrent vaillamment toutes les attaques de l’ennemi, mais il fut grièvement blessé, ses gens perdirent courage et mirent bas les armes. On dit que, quelques chevaliers castillans l’ayant appelé pour parlementer, il parut aux créneaux sans défiance, et cependant le roi, qui se trouvait en ce moment dans une bastide élevée au pied du rempart, ordonna à deux arbalétriers de le viser. Eslaba, frappé de deux carreaux à la tête, mourut peu de jours après la reddition d’Orihuela, empoisonné par les chirurgiens du roi, suivant un chroniqueur qui n’a pas trouvé apparemment que deux flèches suffisaient pour faire mourir un si preux chevalier[1]. Satisfait de sa conquête, don Pèdre, laissant dans Orihuela une garnison considérable, repartit pour Séville, sans se mettre aucunement en peine de la situation de Murviedro, que la famine avait réduite aux abois.

Devant cette place abandonnée ou plutôt trahie par son maître, le roi d’Aragon avait rencontré une résistance à laquelle il ne s’attendait pas. Le prieur de Saint-Jean, qui commandait la garnison, faisait des sorties continuelles et semblait plutôt assiéger le camp aragonais que défendre sa forteresse. Cependant la famine allait bientôt triompher de tant de courage. Le pain manqua dans la place dès les premiers jours du siège. On tua les mulets, puis les chevaux de guerre ; enfin ces alimens vinrent à manquer. Nul espoir d’être secouru. Au milieu des délices de Séville, don Pèdre oubliait les souffrances de ses fidèles soldats. Dans cette extrémité, le prieur crut devoir conserver à son maître de braves gens à qui l’épuisement allait ôter bientôt jusqu’à la ressource de mourir les armes à la main. Il obtint la capitulation la plus honorable, c’était de sortir de la ville avec armes et bagages et de rentrer en Castille escorté par un détachement aragonais. Murviedro ayant été rendu au roi d’Aragon, la garnison, composée d’environ six cents hommes d’armes démontés et d’un nombre proportionné de fantassins, fut reconduite à la frontière par le comte de Trastamare et sa compagnie. Ce n’était pas sans dessein que don Henri avait accepté cette mission. Habile à séduire, il mit tous ses talens en usage pour corrompre ces vaillans soldats qu’il n’avait pu vaincre. Ses caresses, les éloges qu’il leur prodiguait, ses soins pour les malades et les blessés produisirent sur eux plus d’effet que ses armes. Il leur représentait qu’ils avaient été indignement

  1. Ayala, p. 391.