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sacrifiés. À leur retour, au lieu des récompenses dues à leur courage, c’était la vengeance d’un tyran impitoyable qui les attendait, car don Pèdre punissait la mauvaise fortune comme une trahison. Puis, il vantait avec adresse la puissance de l’Aragonais, son allié généreux, armé pour sa querelle et pour la délivrance de la Castille. Surtout il annonçait avec emphase l’arrivée des compagnies d’aventuriers, l’élite des deux nations les plus belliqueuses de l’Europe. Leurs chefs, disait-il, lui amenaient de par delà les monts une armée innombrable, et lui-même, à leur tête, allait purger la Castille du monstre qui l’opprimait. Sans annoncer ouvertement ses prétentions à la couronne, il laissait deviner que de lui seul dépendait le repos de la Castille ; que de lui seul il fallait attendre honneurs, emplois, récompenses de toute espèce. A ceux qui, abandonnant un maître ingrat, voudraient passer sous ses drapeaux, il offrait une solde avantageuse et l’espoir de partager sa fortune ; mais il ne prétendait contraindre le choix de personne : « Quiconque, disait-il, dès à présent ou plus tard, mécontent de don Pèdre, cherchera un seigneur plus libéral et plus juste, qu’il vienne à moi, sûr d’être bien accueilli, car je n’ai pris les armes que pour rendre à la noblesse castillanne ses antiques privilèges, aujourd’hui foulés aux pieds. » Tels étaient les discours du Comte et de ses émissaires en ramenant aux frontières de Castille la garnison de Murviedro. Un assez grand nombre de soldats, se laissant gagner à ses promesses, s’enrôla sous sa bannière. Les autres, bien qu’effrayés pour eux-mêmes de la défection de leurs camarades, mais fidèles à leur serment, rentrèrent dans leur patrie plutôt pour s’y cacher que pour demander le prix de leurs services. Touchés de la courtoisie du prétendant, déjà gagnés à demi, et pleins de défiance dans la fortune de don Pèdre, ils allaient répandre partout les louanges de don Henri et annoncer l’approche des terribles auxiliaires dont on menaçait la Castille depuis quatre ans[1].

Pendant que Murviedro résistait encore, un nouveau traité fut signé par Pierre IV et don Henri, au milieu des travaux du siège. Il reproduisait la substance des conventions précédentes relatives au partage de la Castille, à l’alliance offensive et défensive des deux parties contractantes ; enfin il la resserrait encore en stipulant le mariage de doña Leonor, fille du roi d’Aragon, avec don Juan, fils aîné du comte de Trastamare, aussitôt que les deux fiancés auraient atteint l’âge légal pour cette union[2]. En attendant, l’infante d’Aragon devait être remise

  1. Ayala, p. 392 et suiv.
  2. C’est-à-dire quatorze ans pour le jeune homme et douze ans pour sa fiancée. Arch. gen. de Ar. Capitula facta per dom. regem et comitem olimTrastamarœ, nunc regem Castellœ, apud loc,un seu obsidionem Muri-veteris. Sans date, registre 1548, p. 70 et suiv., art. 7