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— Merci, dit la jeune fille en riant de tout son cœur et en agaçant du bout de l’ongle un beau scarabée noir, lequel rôdait autour du pupitre et traînait péniblement une féverole attachée à l’une de ses pattes en guise de boulet ; merci, Antonin. Je suis charmée de voir de quel dévouement tu es capable pour moi et pour toutes ces petites bête. — Puis, changeant tout à coup de propos, elle ajouta avec un soupir : C’est demain dimanche, jour de repos et de récréation. Comme nous allons nous ennuyer du matin au soir !

— Après la messe, nous demanderons ta permission de jouer au volant, répondit Antonin ; cela nous servira de prétexte pour aller jusqu’à l’extrémité de la terrasse. Là je te montrerai une chose extrêmement curieuse, un nid de fourmis noires ; elles sont en train maintenant de faire leur récolte, et tu les verras au travail.

— Cela nous fera toujours passer un moment, dit Clémentine avec un léger bâillement ; mais ensuite ?

— Ensuite, nous tâcherons de nous amuser comme tout le monde s’amuse ici, dit naïvement Antonin.

— C’est-à-dire point du tout répliqua la jeune fille.

Antonin réfléchit un peu, puis il dit avec conviction :

— La Roche-Farnoux est, à ce qu’on assure, un des plus beaux châteaux qu’on puisse voir ; on y vit à souhait et à profusion, comme dit M l’abbé. Bonne chère beaux habits, beaucoup de valets, un train royal. Pourtant ma mère, ma tante Joséphine, toi, moi, tout le monde s’y ennuie prodigieusement. Je voudrais bien savoir pourquoi.

— Je le sais, moi, répondit Clémentine ; c’est qu’il n’y vient jamais personne et qu’on rencontre toujours face à face les mêmes visages.

— Tu as raison, dit vivement Antonin ; tu as raison, et la preuve, c’est que ma mère, ma tante et toi-même, vous étiez d’humeur plus gaie il y a deux mois, lorsque M. de Champguérin venait, presque tous les jours, rendre ses devoirs mon oncle.

— M. de Champguérin est retourné à la cour, murmura Clémentine sans répondre à cette remarque de son cousin ; il est reparti pour longtemps nous ne le reverrons que l’année prochaine, peut-être. Peut-être plus tôt, dit Antonin ; aujourd’hui il y avait une petite fumée là-bas derrière la colline.

— Eh bien qu’est-ce que tu crois que cela nous annonce ? demanda Clémentine avec émotion et en tournant les yeux vers la fenêtre.

— Cela nous annonce qu’il y a du monde au château de Champguerin, puisque les cheminées fument.

La jeune fille ne releva pas cette observation ; elle garda le silence, et, la tête penchée sur le pupitre, elle se mit à pourchasser le scarabée qui fuyait à reculons et trébuchait à chaque grain de sable tombe sur la basane. Puis, comme l’horloge sonna, elle compta les heures et dit en