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profonde de l’acte de navigation et l’ouverture de nos ports aux navires de tous les pavillons sans leur demander d’où ils viennent ? Quelle est la raison qui nous détermine à accueillir chez nous les productions de tous les peuples de la terre que nous repoussions auparavant, comme si elles fussent venues de lieux impurs ? C’est que nous sentons que les autres peuples civilisés ont droit à notre sympathie, c’est que nous attachons du prix à leur amitié et que nous la recherchons, c’est que, à nos yeux, la paix du monde est pour tous les hommes le souverain bien, le gage et la condition de tous les progrès. Tel est le sens politique et moral du principe qui nous a tous tenus rapprochés dans la ligue, et qui nous réunit ici en ce moment comme un lien auquel nous obéissons toujours. Pour moi, je le déclare, et je vous en atteste vous-mêmes, si je me suis consacré pendant douze ans à la cause de la liberté commerciale, c’est qu’elle avait pour moi ce sens élevé et consolant. Autrement, je n’y aurais pas donné une seule saison. Mais, si c’est ainsi qu’il faut entendre et que nous avons entendu la liberté du commerce, je demande ce que signifie aujourd’hui le projet de nous livrer à toutes sortes de préparatifs militaires ? Il y a un an à peine que la Grande-Bretagne a arboré le principe de la liberté commerciale, signal d’une amitié qui s’offre à tous les peuples, et ce serait le moment qu’on choisirait pour enceindre notre île de fortifications !

« Nous sommes écrasés d’impôts, nous soupirons tous après l’allégement des taxes. Le seul moyen de les diminuer sérieusement serait de s’attaquer à cette lourde masse de 17 millions sterling qui représente les frais annuels de notre état militaire sur terre et sur mer. Un pareil attirail de forces nous était nécessaire autrefois, à cause de la jalousie et de la haine que nous avions provoquées au dehors. Cette jalousie et cette haine sont venues de ce que nous avons été possédés de l’esprit d’envahissement. Nous avons eu l’ambition de nous emparer de cent territoires pour y avoir le monopole du commerce. Du moment que vous aurez solennellement dit au monde que vous ouvrez aux autres nations non-seulement vos ports, mais ceux de vos colonies, — et actuellement vos colonies le réclament, — du moment que vous aurez renoncé aux privilèges que vous confère dans toute l’étendue de l’empire britannique l’acte de navigation, le sentiment des autres nations à votre égard sera complètement changé ; de toutes parts on ne demandera qu’à entretenir avec vous de bons rapports ; on recherchera votre alliance avec plus d’ardeur encore qu’on n’en mettait à vous combattre ou à vous haïr alors que vous ne rêviez que conquêtes et monopoles, parce que vous êtes un peuple éclairé et riche avec lequel toute bonne relation est infiniment profitable. Que l’esprit de la liberté du commerce ne s’établisse pas seulement dans nos comptoirs, qu’il prenne place dans nos cœurs, qu’il devienne notre pensée politique, et bientôt la voix publique condamnera les armemens extraordinaires. Les 17 millions sterling que dévore notre budget de la guerre pourront eux-mêmes être diminués sans inconvénient. Ceci, messieurs, n’est pas de l’utopie, ainsi que le disent quelques personnes, les mêmes qui il y a quatre ou cinq ans traitaient d’utopie l’idée d’abolir les restrictions commerciales que nous avons balayées de notre code, et je vous en fais juges.

« Il n’y a pas dans toute l’Europe un état qui ne gémisse sous le faix des impôts,