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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/581

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tait plaint, dans une certaine portion du parti conservateur, que le cabinet n’eût fait aucune réponse aux désirs de réformes manifestés par quelques-uns des membres de la majorité. M. le ministre de l’intérieur a fait cette réponse. La déclaration de M. Duchâtel a pu ne pas satisfaire tous les amis du ministère, mais elle a eu du moins le mérite de préciser la situation ; il est établi maintenant que le cabinet ne proposera et n’acceptera, dans la session actuelle, aucun changement dans la loi électorale. Nous comprenons très bien, lors même que nous ne les approuverions pas sans réserve, les raisons de la conduite du ministère. Il y a un principe qui domine toute la question, c’est que toute modification dans la loi d’élection entraîne nécessairement une dissolution de la chambre élective ; il est impossible de changer la loi sans changer la chambre qui en est sortie. Quelle serait l’autorité d’une chambre qui n’existerait qu’en vertu d’une loi qui elle-même aurait cessé d’exister ? Le même argument s’appliquerait à toute promesse, à tout engagement de réformes futures. Si nous pouvions désirer que le ministère prit l’initiative d’un changement, nous lui demanderions de la prendre tout de suite ; mais, étant donné qu’il ne fera rien cette année, on ne peut que l’approuver de ne rien promettre pour les années suivantes. Nous sommes convaincus, quant à nous, qu’il y a, selon la formule, quelque chose à faire, et qu’il se fera quelque chose avant le terme de la législature actuelle ; mais, lors même que le ministère le penserait comme nous, il ne peut pas condamner à l’avance une majorité dont il n’a qu’à se louer, et en vérité c’est exiger beaucoup trop de la nature humaine que de vouloir le forcer à trouver mauvaise une chambre qui le soutient, en ce moment encore, contre les attaques les plus violentes.

La longueur et la vivacité inaccoutumées de la discussion de l’adresse dans la chambre des pairs avaient fait présager des débats plus prolongés et plus vifs encore dans la chambre des députés. Ces prévisions se réalisent au-delà de toute mesure. Déjà huit ou dix séances ont été employées à la discussion de l’adresse, si l’on veut bien appeler cela une discussion, et la chambre, il faut le dire, n’a fait cependant que très peu de besogne. C’est à peine si, au milieu des tristes altercations qui ont absorbé son temps, elle a trouvé un jour, un seul, pour s’occuper sérieusement des grands intérêts du pays. Le mémorable débat qui s’est engagé sur la situation financière est heureusement venu sauver la dignité et la considération de la chambre, qui menaçaient d’être gravement compromises. Nous aimons à pouvoir rendre à M. Thiers la justice qui lui est due ; le premier il a tiré la discussion du terrain misérable des personnalités, pour la transporter sur celui des affaires ; il a su échapper à cette contagion de l’injure qui semblait avoir tout envahi ; son silence au milieu des banquets avait été une leçon pour son parti ; son langage à la tribune en a été une plus éloquente et plus sévère encore.

Il y avait long-temps que M. Thiers n’était sorti de sa tente ; il n’a perdu dans le repos, ou, pour mieux dire, dans la retraite, aucune des rares qualités de son esprit. C’est toujours le même talent d’exposition et d’élucidation, c’est toujours cette parole claire et limpide qui coule comme d’une source naturelle. Nous n’étonnerons cependant aucun de ceux qui ont entendu ou qui ont lu cette discussion en disant que l’avantage y est pourtant resté à M. Duchâtel. Le discours qu’a prononcé à cette occasion M. le ministre de l’intérieur est, dans l’opinion des juges