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c’est le parti des politiques, des gallicans, des parlementaires, de tous ces hommes qui, dans la mêlée des sectaires, entre les prétentions calvinistes et les folies théocratiques de la ligue, ont maintenu l’idée d’ordre et de liberté, l’indépendance de l’état, la force désormais consacrée de la société séculière, et préparé l’avènement d’Henri IV. Gérard Roussel auprès de Marguerite me représente, avec plus de douceur, quelques-uns de ces nobles esprits qui escortaient le Béarnais ; il ne mérite pas les reproches, affectueux sans doute, mais inexacts de M. Charles Schmidt ; il tient sa place, une place modeste, aimable, dans cette grande tradition française qui traverse tout le XVIe siècle, et triomphe avec les auteurs de la Satire Ménippée, avec le petit-fils de Marguerite. Ces réserves une fois faites, et elles étaient indispensables, il faut louer encore M. Schmidt de ses curieuses recherches, de son érudition attentive, de l’heureuse lumière jetée par lui sur une figure vraiment intéressante. M. Schmidt, dans ses précédens travaux, avait un peu trop oublié que Strasbourg est une ville française ; il écrivait volontiers pour l’Allemagne ; il a donné en allemand de savantes études sur les mystiques, sur maître Eckard, sur Tauler. Qu’il continue désormais à écrire dans notre langue. Si mes paroles pouvaient réussir à l’y décider tout-à-fait, je croirais avoir rendu service aux études sérieuses qui peuvent s’enrichir, en Alsace, de plus d’un travail digne d’estime. Quelques locutions germaniques, quelques embarras de style disparaîtront bien vite, je l’espère, et la critique sera empressée dans son accueil, quand elle trouvera, comme ici, des recherches solides unies à une intelligence droite et à un profond amour de la vérité.

L’histoire de Gérard Roussel est attachante surtout par l’étude des luttes intérieures. Quoi de plus sérieux, en effet, que le spectacle d’une ame sincère en qui se débattent les périlleuses questions du monde moderne ? Mais tous les événemens du XVIe siècle n’ont pas cet intérêt si calme et si paisible. Ils ne se produisent pas tous sur ce théâtre aimable et dans des conditions si pures. À l’époque où Gérard Roussel, obligé de quitter le diocèse de Meaux, se réfugiait à Strasbourg avec son vieux maître, Lefèvre d’Étaples, et au moment peut-être où il allait adopter le culte réformé, il put entendre des bords du Rhin le bruit formidable de la guerre des paysans. Le XVIe siècle est le siècle des contrastes ; pour s’y reporter avec vérité, il ne faut pas craindre les changemens inattendus, les brusques et violentes oppositions ; il faut savoir passer des poètes aux pédans, des puritains aux épicuriens, des loisirs de l’art aux brutalités de la guerre. Tout s’y rencontre pêle-mêle. N’oublions pas que le Gargantua et l’Institution chrétienne ont paru la même année. Pour moi, je ne lis jamais une gracieuse chanson de Ronsard, une bergerie de Remi Belleau, sans y joindre aussitôt l’une des furieuses invectives de d’Aubigné ou tout au moins la harangue de d’Aubray dans la Satire Ménippée. J’agirai de même aujourd’hui, puisque, après la touchante biographie de Gérard Roussel, je vais interroger cette terrible guerre des paysans dont M. Alexandre Weill a tracé la rapide histoire.

Ce fut une bien sombre diversion aux controverses théologiques de l’Allemagne que cette guerre des paysans. Luther n’avait voulu qu’une réforme religieuse, et l’importance fondamentale des questions qu’il attaquait lui avait caché le monde réel. Aussi, quand le souffle révolutionnaire du hardi moine sortit, pour ainsi dire, de l’enceinte théologique où il enfermait sa pensée, quand le peuple soulevé parla en son nom propre, quand la réforme civile voulut se