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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/852

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autre communion universelle et sainte, la communion de la justice et de l’humanité. Cet homme qui meurt pour une idée, ces gens du peuple qui prient avec lui et qui, touchés de ses souffrances, s’efforcent de les abréger, ils appartiennent au même titre à l’église de Dieu. Mais vous, Calvin, qui dénoncez un adversaire personnel à l’inquisition catholique, vous qui demandez la mort quand l’exil eût suffi, vous qui prêchez contre Servet absent et sous le poids d’une sentence capitale, quand vous mettez le comble à tant de noirceurs en venant contester contre l’évidence la bonne foi de votre ennemi, pour travestir et déshonorer ses derniers momens, vous n’appartenez point, non, j’ose l’affirmer au nom de ma foi profonde en un principe éternel de bonté et de justice, vous n’appartenez point à l’église de Dieu.

Si sévère toutefois que doive rester le jugement de l’histoire pour la conduite de Calvin, il ne serait point juste de concentrer sur lui seul la responsabilité du bûcher de Servet. On a vu que les églises suisses contribuèrent à décider le conseil de Genève à porter une sentence de mort. Les églises allemandes ne furent pas plus tolérantes. Melanchthon, le doux Melanchthon, complimenta hautement Genève et Calvin)[1]. Vingt ans auparavant, OEcolampade, Capito, Zwingle, avaient maudit la doctrine et la personne du scélérat espagnol. Bucer avait dit en pleine chaire qu’on ne pouvait discuter avec ce démon et qu’il fallait lui arracher les entrailles et l’écarteler. Tel était l’esprit de cette rude époque. Catholiques et protestans, personne ne doutait qu’une erreur en religion ne fût un attentat punissable et ne dût être réprimée par le magistrat. Il faut entendre le protestant Farel s’écrier : « Parce que le pape condamne les fidèles pour crime d’hérésie, il est absurde d’en conclure qu’il ne faut pas mettre à mort les hérétiques… Pour moi, j’ai souvent déclaré que j’étais prêt à mourir, si j’avais enseigné quoi que ce soit de contraire à la saine doctrine[2]. » On a pu remarquer que Servet, lui aussi, adoptait les maximes de ses bourreaux : « Si j’avais prétendu que l’ame fût mortelle, écrivait-il au conseil de Genève, je me condamnerais moi-même à mort. » Siècle étrange et terrible où toute pensée devient un crime, où au nom de l’Évangile chaque parti lance à tous les autres l’anathème et la mort ! Je ne sais si les derniers excès du fanatisme politique ont pu jamais égaler cet effroyable débordement du fanatisme religieux, et la Terreur seule peut nous donner quelque idée des sanglans orages du XVIe siècle.

On a fait honneur à Luther d’avoir proclamé des maximes plus humaines. « J’ai horreur du sang, disait-il en effet dans les commencemens

  1. Melanchthon Calvino, 14 oct. 1554.
  2. Lettre à Calvin, 8 sept. 1553.