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de sa carrière. Pourquoi tuer les faux prophètes, quand il suffit de les exiler ? » mais bientôt Luther rencontra des résistances, son cœur s’aigrit, et lui aussi appela la violence au secours de la vérité. On cite encore quelques passages des premières éditions de l’Institution chrétienne où Calvin conseillait la douceur dans la répression de l’hérésie. Il était alors errant et menacé. À Genève, après la mort de Servet, il écrivit un livre pour établir le droit du glaive sur l’erreur. Une seule voix s’éleva contre cette doctrine, la voix d’un persécuté, celle de Castalion. Théodore de Bèze répliqua et maintint au nom du protestantisme la doctrine homicide. Au siècle suivant, Bossuet la revendique sans contradicteur au sein d’un siècle de politesse, de douceur et de lumières. Pour la déraciner, il a fallu deux siècles de philosophie, il a fallu Locke et Voltaire, Montesquieu et Rousseau, il a fallu la révolution française.

Ce n’est donc pas Calvin seulement, c’est Farel et Viret, c’est Bucer et Melanchthon, ce sont les églises suisses et les églises allemandes, c’est la réforme tout entière qui a poursuivi et frappé Servet. Cet acharnement universel s’explique à merveille. Le principe posé par la réforme avait en effet deux conséquences nécessaires. Luther et Calvin, en faisant de la raison l’interprète des saintes Écritures, renversaient l’ordre de subordination que le moyen-âge avait établi entre la raison et la foi. Au lieu d’être servante, la raison devenait maîtresse. De là une première conséquence : c’est qu’ayant une fois conquis le droit de nier, elle était irrésistiblement entraînée à l’exercer dans toute son étendue ; c’est qu’après avoir nié la vertu des sacremens et la présence réelle, elle devait de proche en proche nier la divinité de Jésus-Christ, la Trinité, l’incarnation, en un mot tous les dogmes et tous les mystères. Cette conséquence s’appelle le socinianisme.

Si le premier besoin de la raison déchaînée est de nier les dogmes qui la gênent, il est un besoin plus profond qu’elle ne tarde pas à ressentir, c’est de ressaisir ce qu’elle a d’abord brutalement rejeté, non pour s’y enchaîner de nouveau, mais pour le dominer, l’expliquer, le comprendre, pour l’absoudre après l’avoir compris, pour en exprimer toute la vérité et s’en assimiler enfin toute la substance. L’explication des mystères par la raison, et par suite l’absorption de la religion dans la philosophie, telle était la conséquence dernière du principe protestant. Elle s’appelle le rationalisme.

P. Michel Servet est l’homme qui a déduit le premier ces deux conséquences. En niant la Trinité, la divinité de Jésus-Christ, le péché originel, il a suscité Socin. En composant un christianisme rationnel, où tous les mystères sont les développemens d’une donnée philosophique, il a préludé à Malebranche et à Kant, à Schelling et à Hegel, à Schleiermacher et à Strauss. Et il ne faudrait pas croire que ce hardi génie