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d’alliés ! Rome catholique, tout en ayant perdu sa suprématie sur la moitié du monde, reste une grande école de politique.

S’il était nécessaire de constater par un nouveau témoignage la puissance des idées philosophiques pendant le dernier siècle, nous trouverions cette preuve dans la conduite que tint la papauté. Elle n’essaya même pas de lutter contre l’ascendant et les prestiges de l’esprit nouveau ; elle accepta les hommages de Voltaire et proscrivit les jésuites. Il y a précisément un siècle, le trône pontifical était occupé par un prêtre aimable et doux, d’un esprit enjoué, qui ne craignait pas d’écrire à Voltaire pour le remercier de lui avoir dédié Mahomet et d’avoir en son honneur composé ce distique :

Lambertinus bic est, Romae decus et pater orbis,
Qui mundum scriptis docuit, virtutibus ornat.


La philosophie et la religion étaient en coquetterie. Dans le Précis du siècle de Louis XV, Voltaire, qui vit le règne d’autres pontifes, célèbre la modération du pape Lambertini, Benoît XIV, « aimé de la chrétienté pour la douceur et la gaieté de son caractère, et qui est aujourd’hui regretté de plus en plus. Il ne se mêla jamais d’aucune affaire que pour recommander la paix. » N’est-il pas remarquable que la papauté, pour laquelle la compagnie de Jésus avait été d’un si puissant secours contre la réforme, licencie cette armée à la veille de la révolution française ? Les papes ne lisaient pas mieux dans l’avenir que les rois.

Ce que Rome catholique avait toujours le plus combattu, le principe de l’indépendance de l’esprit humain, triomphait, et ce terrible ennemi ne connaissait ni frein, ni pitié, comme il arrive toujours dans l’ivresse des premières victoires. Que de catastrophes et de péripéties la révolution française a jetées dans l’histoire de la papauté qui se vit assaillie de tempêtes comme aux jours les plus tragiques du moyen-âge ! Cependant, au moment où Pie VI, violemment arraché de Rome, expirait sur le territoire français, à Valence, cette révolution se mettait elle-même en tutelle sous la dictature d’un héros, et revenait à la modération par le chemin de la gloire. Pourquoi faut-il que Napoléon, après avoir si noblement suivi le penchant qu’ont toujours les grandes ames pour les croyances religieuses, n’ait pas été fidèle à ses premières pensées ? Notre siècle a vu le nouvel empereur d’Occident se montrer plus dur envers Rome, plus gibelin que tous les césars du moyen-âge, et, par un décret qu’il data de Schœnbrunn, le 17 mail 1809, dépouiller Pie VII de toute puissance temporelle. « Lorsque Charlemagne, empereur des Français et notre auguste prédécesseur, est-il dit dans ce décret, fit donation de plusieurs comtés aux évêques de Rome ;