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à l’esprit des nations. A la fin de la huitième période, les peuples rencontrent un état stationnaire.

M. Frère ne s’en tint point à la théorie : il recueillit çà et là des crânes humains provenant des fouilles faites dans d’anciens cimetières, dans des tombeaux d’églises ; rattachant alors ces débris ostéologiques à une date plus ou moins certaine, il démontrait le rapport de la succession des formes cérébrales avec le perfectionnement moral et intellectuel des nations. Cette science nouvelle pourrait être définie : la chronologie du progrès écrite sur la boîte osseuse du cerveau. M. Frère a réuni dans sa collection des crânes de toutes les périodes. Il nomme cette collection son alphabet : chacun des crânes est en effet un caractère hiéroglyphique, à l’aide duquel l’homme qui sait lire cette écriture peut reconstituer l’ensemble des aptitudes propres aux différens âges d’une société. Prenez une tête française du VIe siècle : on oserait presque dire que l’humanité n’existe pas sur les plans bas et misérables de ce front avorté, ou du moins qu’elle n’existe qu’en germe. Quelle distance d’une telle conformation à la structure d’une tête moderne ! Les degrés intermédiaires de l’échelle sont occupés dans le musée de M. Frère par des crânes qui expriment la succession des faits entre la barbarie et l’état de civilisation où nous sommes parvenus. On peut ainsi faire, pièces en main, la physiologie comparée d’un même peuple. Il y a quelques années, un des anciens cimetières de Paris ayant été ouvert, M. l’abbé Frère se transporta sur les lieux. Rappelant à la vie, par la force de son système, les générations éteintes, il vit alors se succéder de couche en couche, d’après les formes modifiées du crâne, les âges de la nation française qui s’étaient écoulés depuis l’établissement de ce cimetière. Cette paléontologie humaine répète pour l’histoire des sociétés ce que Cuvier a fait pour les antiquités du globe.

Les faits très-curieux observés par M. Frère ne sauraient néanmoins appuyer à eux seuls le système des périodes sociales. Ce système doit être restreint aux applications très-générales d’une loi qui peut être féconde, mais que l’auteur a forcée, et peut-être même faussée dans les conséquences. Tenons compte à l’observateur de sa clairvoyance ; j’oserais presque dire, de sa seconde vue ethnologique ; mais n’oublions pas que si le coup d’œil du physiologiste peut, dans certains cas, suppléer au silence des historiens, ce sont là des faits tout exceptionnels. Pour arriver à des notions précises sur la formation des nationalités, il est indispensable de compléter les investigations de l’anatomiste par les recherches de l’érudit. Telle est la conclusion à laquelle, malgré l’importance des résultats obtenus par M. Frère, on est inévitablement ramené par ses travaux.